De la place des PPP au montage du financement de l’Autoroute à péage, en passant par le coût du péage jugé exorbitant, M. Dominique Ndong, Coordonnateur des Grands Travaux de l’APIX aborde tout sans détours. Il révèle que le Contrat PPP de l’Autoroute à péage Dakar/Diamniadio signé entre l’Etat et le Groupe EIFFAGE porte sur des Coûts d’Investissement qui s’élèvent à 148 Milliards de F CFA.
Quelle place occupe l’Autoroute à péage dans la politique des infrastructures du Sénégal ?
L’Autoroute à péage est bien en phase avec la politique de renforcement et de modernisation du réseau routier national. Il a servi à expérimenter pour la première fois au Sénégal un système de péage et d’exploitation conçu dans le respect des standards internationaux. La position stratégique de son tracé qui se développe parallèlement à la RN1 lui confère un rôle structurant manifeste dans l’amélioration de la mobilité urbaine. Le projet est en droite ligne avec l’ambition du Sénégal d’assurer le désenclavement effectif de toutes les zones d’habitation et de production à travers la réalisation d’infrastructures routières. A ce propos, l’Autoroute à péage a largement contribué à la création d’une nouvelle dynamique urbaine qui s’est traduite par l’émergence de nouveaux quartiers tout au long de son tracé. Il s’agit là d’une mutation du foncier avec un développement de nouveaux pôles de développement, notamment le Pôle urbain de Diamniadio pour désengorger le centre ville de Dakar. Sur un autre plan, le Projet d’Autoroute à péage a introduit une innovation majeure dans la politique des infrastructures au Sénégal, en ce qu’il ouvre de nouvelles perspectives de gestion efficace des projets en laissant une large part aux compétences du Privé permettant ainsi à l’Etat de se concentrer sur les missions qu’il maîtrise le mieux.
Etant le premier projet PPP développé au Sénégal dans le domaine des infrastructures, des questions ont effectivement été soulevées quant aux conditions contractuelles régissant le Contrat signé entre l’Etat et Groupe EIFFAGE, notamment son coût comparé à d’autres projets. La confusion qui a été entretenue provient sûrement du fait qu’il a été procédé à une comparaison entre deux modèles de contrat ayant des objets et des périmètres très différents.
Le premier élément de réponse à votre question porte sur une précision importante à faire. La pratique courante des marchés de travaux dans lesquels l’Entreprise construit l’infrastructure et est ensuite libérée de toute obligation contractuelle à l’expiration d’un délai de garantie d’un an, explique peut être cette confusion avec le cas particulier d’un Contrat PPP comme celui de l’Autoroute à péage. En l’occurrence, l’Opérateur privé est chargé d’une Mission globale de Conception, Financement, Construction, Exploitation de l’infrastructure sur une période de 30 ans. Il est évident que la structuration des coûts entre ces deux modèles de contrat ne peut pas être identique. Malgré la communication déroulée pour mettre à niveau l’information auprès de l’opinion sur le coût de l’Autoroute à péage, certaines controverses observées appellent les clarifications suivantes :
Le Contrat PPP de l’Autoroute à péage Dakar/Diamniadio signé entre l’Etat et le Groupe EIFFAGE porte sur des Coûts d’Investissement qui s’élèvent à 148 Milliards de F CFA. Son plan de financement est assuré par, d’une part, une contribution de l’Etat avec l’appui de deux Partenaires Techniques et Financiers, en l’occurrence AFD et BAD, pour un montant total à hauteur de 87 Milliards, soit 59%, et d’autre part, une contribution du Groupe EIFFAGE avec l’appui d’un groupe de Prêteurs privés composé de, IFC, BAD, BOAD et CBAO, pour un montant total de 61 Milliards, soit 41% ; Pour bien marquer son caractère de Projet urbain intégré, l’Autoroute à péage a permis de réaliser une composante publique qui couvre essentiellement (i) la libération de emprises et la construction de la Zone de recasement de Tivaouane Peulh, (ii) la restructuration urbaine des quartiers de Pikine Irrégulier Sud, et (iii) des projets corollaires environnementaux. Cette composante représente un budget global estimé à 232 Milliards financé par l’Etat avec l’appui de la Banque Mondiale et l’AFD. Les activités de cette composante, dont certaines sont en cours d’exécution, font intervenir des Entreprises sénégalaises parmi lesquelles figurent SINCO, SOGEC, SOCETRA et d’autres PME. Ces entreprises travaillent sur la base de contrats régis par le Code des Marchés Publics, avec l’AGETIP qui assure la mission d’Agence d’exécution pour le compte de l’APIX.
Pour en revenir au Contrat PPP de l’Autoroute à péage, l’autre élément de réponse est de souligner que les Coûts d’Investissement indiqués ci-dessus comprennent une part prépondérante réservée aux installations fixes et équipements de péage. C’est dire qu’il convient de toujours garder à l’esprit la nécessité de faire des comparaisons entre projets toute chose égale par ailleurs. Il s’avère que les prix de l’Autoroute à péage applicables à des parties d’ouvrage exécutées dans le cadre d’autres projets routiers sont compétitifs dans le contexte actuel du Sénégal.
Je voudrais également faire observer qu’une procédure particulièrement rigoureuse a prévalu tout au long de la phase de préparation de ce Projet. En effet, le Projet de l’Autoroute à péage a été préparé sur la base d’études très détaillées ayant mobilisé des expertises avérées sur les aspects techniques, économiques, financiers, environnementaux et sociaux. Parmi ces expertises je peux citer le conseiller stratégique et financier la Compagnie Benjamin de Rothschild (CBR), le conseiller juridique, le cabinet Norton Rose et ensuite Me François SARR, le conseiller technique, le Bureau EGIS International. La sélection de l’Opérateur privé a été effectuée par appel d’offres international qui a vu des entreprises de différentes nationalités déposer leur candidature. Plusieurs compétences de l’Administration réunie autour de l’APIX ont été mobilisées pendant la phase de négociation et de mise au point du contrat de concession qui a duré plus de 6 mois. Il s’était justement agi de rechercher un large consensus dans les prises de décision pour réunir les chances de réussite de ce premier projet PPP. Il s’y ajoute que les revues effectuées par les PTF directement impliqués, ont également permis d’atteindre des objectifs de transparence et de partage équilibré des risques entre les Parties.
L’impact du projet sur l’activité économique peut être apprécié à partir de l’atteinte dès la mise en service du Tronçon Dakar – Diamniadio de deux résultats prioritaires, à savoir la durée moyenne du trajet entre Dakar et Diamniadio qui est passée de 90 mn à 25 mn, et les aller et retour effectués entre Dakar et Rufisque par les minibus de transport qui sont passés de 2 à 4. Ces résultats ont des impacts réels sur tous les secteurs de l’économie.
Donc pour conclure sur cette question, je puis vous confirmer que malgré certaines controverses, le Projet de l’Autoroute à péage est un exemple de réussite qui justifie qu’il soit régulièrement cité dans les instances internationales traitant des PPP. Des pays africains continuent d’exprimer leur intention de s’en inspirer.
Quelles ont été les motivations pour le recours au Partenariat Public Privé (PPP) dans le financement et la réalisation du projet de l’Autoroute à péage et quel bilan faites vous de ce choix ?
Le Contrat de concession du projet de l’Autoroute à péage a été passé sous l’égide de la Loi 2004-13 du 1er mars 2004 relative aux contrats de construction-exploitation-transfert d’infrastructures (CET) de 2004. Cette Loi est venue renforcer notre arsenal juridique pour permettre la réalisation de projets d’infrastructures suivant une formule de financement en Partenariat Public-Privé (PPP). Il faut rappeler que le PPP est un mécanisme qui, à titre d’exemple, permet à l’Etat de transférer au privé le risque important lié à la préservation de la qualité de nos infrastructures routières. Si l’on considère la lancinante problématique de l’insuffisance des ressources budgétaires affectées à l’entretien routier, ce qui est souvent à l’origine de la dégradation prématurée des routes, on mesure tout le bénéfice tiré de cette disposition du Contrat de l’Autoroute à péage consistant à confier au Privé l’obligation d’assurer en continu la préservation des caractéristiques initiales du projet en se conformant à un contrat de performance avec des indicateurs de suivi qui l’engagent contractuellement.
C’est dire donc que le montage du Projet d’Autoroute à péage en PPP introduit une innovation majeure dans la politique des infrastructures au Sénégal, en ce qu’il ouvre de nouvelles perspectives de gestion efficace des projets en laissant une large part aux compétences du Privé permettant ainsi à l’Etat de se concentrer sur les missions qu’il maîtrise le mieux
Le recours au PPP permet d’accélérer la réalisation de projets prioritaires que l’Etat n’aurait pu financer seul, dans les délais souhaités. En démontrant la rentabilité du projet par des études très élaborées, l’Etat a pu capter efficacement des opportunités d’investissements du Privé. En plus d’attirer un Opérateur privé justifiant d’une renommée internationale en matière de mise en œuvre et d’exploitation d’autoroutes à péage, le projet a pu susciter l’intérêt de plusieurs institutions financières, son plan de financement qui dégage un budget de 148 Milliards ayant pu être bouclé sans contrainte majeure.
Les retours d’expérience tirés de ce Projet, suggèrent de tenir compte de la complexité des contrats PPP bâtis autour du principe d’un partage équilibré des risques. Cette première expérience devrait être mise à profit pour relever les capacités de l’expertise nationale en matière de gestion et management de projets PPP de manière à pouvoir négocier d’égal à égal avec le Privé. Je voudrais également beaucoup insister sur le besoin de renforcer la communication sur les principes des PPP et la nécessité d’obtenir un large consensus sur l’option de signer des contrats de concession gagnant – gagnant de longue durée. N’importe quel projet ne peut être développé en PPP, car les investisseurs privés accepteront difficilement d’injecter leurs ressources dans des projets non rentables financièrement.
Le coût du péage est parfois jugé comme étant un peu cher. Quel éclairage apporter sur cette question?
Au titre du Contrat de concession, le Titulaire est autorisé à percevoir du péage sur la base de tarifs contractuels fixés suivant les sections parcourues par les usagers. Ces tarifs ont été pris en compte dans le Modèle financier du projet pour dégager des prévisions de recettes permettant de vérifier la rentabilité financière du projet. Pour la perception du péage auprès des usagers le Titulaire supporte en retour des charges d’exploitation et différentes prestations relatives à des services d’assistance pour la sécurité de la circulation, des dépenses pour la maintenance et l’entretien de l’infrastructure. Toutes les réparations nécessaires ainsi que l’entretien périodique et le renforcement de la chaussée sont à sa charge. Il utilise également une partie des recettes de péage pour payer des impôts et taxes. A noter que les tarifs appliqués s’entendent TTC, la TVA étant reversée régulièrement au Trésor public.
Le niveau des tarifs de péage découle de trois principaux critères : l’investissement initial, le trafic attendu et la durée de la concession. Ces trois critères ne sont pas forcement modulables à souhait. Un investisseur privé qui accepte de contribuer dans le financement d’une infrastructure publique en supportant de risques bien déterminés veille nécessairement sur son retour sur investissement.
Dans le cadre de la préparation du Projet Autoroute, des enquêtes d’acceptabilité du péage avaient été réalisées pour déterminer les tarifs socialement acceptables. Ces enquêtes ont donné un taux d’acceptabilité de 80%. Ce résultat a été à la base des tarifs plafonds indiqués dans les Dossier d’Appel d’Offres. Le principe de l’usager- payeur passe bien généralement dans l’opinion à la condition d’assurer la fourniture d’un niveau de service d’une qualité satisfaisante et durable. Le constat généralement fait est que les conditions de circulation sur l’Autoroute restent attractives à côté de celles sur la RN1 qui constitue une alternative gratuite pour les usagers. Par ailleurs, une fois que le Titulaire aura assuré son retour sur investissement, le Contrat prévoit une formule de partage des fruits de la concession permettant à l’Etat de bénéficier de parts sur les recettes enregistrées. Si l’on considère que les usagers de l’Autoroute à péage bénéficient indéniablement de la réduction de près de 80% de leurs temps de trajet, on peut mesurer les gains qui en découlent, à savoir, le carburant économisé, une meilleure conservation de l’état des véhicules, et tous les autres avantages liés à une meilleure prévention des risques d’embouteillage et à l’amélioration de l’environnement des Affaires d’une manière générale. Je voudrais terminer en indiquant que les hypothèses prises en compte dans le Modèle financier ont été déterminantes dans la fixation des tarifs appliqués. Leur révision ne saurait se faire que sur la base de nouvelles négociations entre les Parties.
Quels sont les prochains rendez-vous du projet Autoroute à péage ?
Le projet initial avait pour objectif d’offrir aux usagers une alternative à la seule RN1 qui supportait l’essentiel du trafic entrant et sortant de Dakar. Dans sa première phase, le projet s’arrête à Diamniadio, ville carrefour où convergent la RN1 en direction du Sud et la RN2 en direction du Nord. Cette première phase remplissait ainsi le double objectif de gérer le trafic local entre Dakar et sa banlieue concentrée dans les villes de Guédiawaye, Pikine, et Rufisque et le trafic de transit en direction de l’intérieur du pays y compris le transport routier internationale. Avec l’avènement du projet de construction du nouvel aéroport AIBD, le besoin d’accompagner la mise en service commerciale de ce nouvel aéroport a justifié la réalisation d’une deuxième phase permettant de prolonger l’Autoroute à péage jusqu’au site de l’AIBD. Cette deuxième phase a nécessité la signature avec le même Titulaire d’un Contrat Complémentaire passé conformément aux dispositions légales régissant les contrats de Construction Exploitation Transfert (CET). Cette extension de la concession de l’Autoroute à péage permet ainsi d’assurer une cohérence d’ensemble aussi bien de la qualité du niveau de service que du système de péage en offrant les mêmes prestations d’exploitation, de maintenance et d’entretien. Au regard de l’état d’avancement très satisfaisant des travaux, la mise en service du prolongement de l’Autoroute à péage sur le Tronçon Diamniadio – AIBD sera effective en août 2016. La coïncidence de cette extension de la concession avec la réalisation de la branche d’Autoroute AIBD – Mbour pourra également beaucoup profiter à d’autres destinations, notamment le site touristique de Saly.
Par Fédior
La rédaction