Dakarmidi – Le Sénégal vit une perversion des valeurs alarmante. La subversion des mœurs, la banalisation de la vulgarité et l’exacerbation de l’insolence érigées en valeur nous conduisent lentement mais surement vers la fange, vers le basculement irrémédiable vers l’anomie, une de ces situations où il n’y a plus ni ordre ni respect ni tabou !
L’injure est ainsi devenue un must stylé dans le discours, et il parait de plus en plus qu’elle constitue un poids de taille dans un argumentaire où les arguties et autres circonlocutions langagières sont inopérantes pour convaincre.
L’injure summum de l’impolitesse et de la vulgarité est sertie dorénavant d’une forme superficielle d’engagement politique qui en réalité cache mal une méchanceté gratuite nourrie par une rage de détruire, de faire mal, d’atteindre les cibles de ces attaques au plus profond d’eux-mêmes, sous le couvert d’un combat pour la cause du peuple qui autoriserait tous les abus, de langage particulièrement.
Le Sénégal en est arrivé à un point proche du non retour, tellement il est désormais à la mode d’être vulgaire, impudique, mal poli, pour être adulé et se faire remettre le drapeau de justicier social par la parole, ou de héros du peuple.
Les hommes ont toujours aimé flirter avec les limites du tabou, mais dans notre pays on n’a jamais autant outragé les honnêtes gens et fait tord à leur honneur.
Même ceux qui prêchent pour la chapelle de Dieu accèdent dorénavant au rang de stars du petit écran ou des ondes par le court chemin de la vulgarité lubrique, tout comme les soi disant marabouts qui aiment les détails salaces, et font leur promotion sur les thèmes d’ordinaire pudiquement évoqués par ailleurs.
Si jamais nous ne prenons garde à cette effusion furieuse de violence verbale, si nous ne prenons garde à l’érection de l’injure, de l’insolence et de l’impertinence en stratégie d’affirmation politique, ce sont les bases mêmes de notre Nation qui seront sapées jusque dans leurs fondements. Abattre un à un les piliers de notre Nation nous conduit irrémédiablement au chaos.
Quand il n’y a plus de tabous en effet, que reste-t-il pour endiguer le processus irréversible de basculement vers la déchéance sociale ?
Il n’y a rien d’intrépide à manquer de respect à nos institutions, bien au contraire. Mener un combat que l’on croit juste avec la force de sa conviction et le courage de ses idées n’est pas incompatible avec le respect, la correction dans les propos et la convenance avec les normes sociales.
Nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude d’autant plus que dura lex mais sed lex, il est indubitable que la conséquence d’un tel comportement est la convocation devant les juges, et l’application de la Loi, dans toute sa rigueur.
Notre société n’a plus aucun repère. L’urbanisation galopante et l’exode rural produisent leurs conséquences funestes, exacerbées par l’explosion des NTIC qui ouvrent les portes vers un monde de liberté où tout est permis, et la luxure célébrée ! L’Ecole n’assure plus son rôle d’éducation, de medium pour l’accès au savoir, au savoir faire, et surtout de préparation au savoir être sans lequel toute idée de vie harmonieuse en société est chimérique. Les familles ont renoncé depuis longtemps à l’éducation de leurs progénitures, abandonnées à elles-mêmes dans un monde cruel où l’attrait du gain facile et la philosophie du deal pour s’enrichir règnent en maitres.
Dans des villes véritables melting pot où se rencontrent des populations de divers horizons, aucune structure sociale d’encadrement et de formation héritée de leurs origines diverses ne survit.
Quand il y a cinq ans un rappeur survolté traitait Me Wade de menteur devant un parterre de hauts responsables condescendants, j’avais averti en disant que ce permis d’injurier ouvrait la boîte de pandore, et que le retour de flammes ne tarderait surement pas.
Plus tard ce sont de hauts responsables au plus haut niveau qui furent enregistrés en flagrant délit de deals politiques fomentés sur fond d’injures plus insolentes les unes que les autres. Jusque dans les bureaux cossus de nos institutions, se vautrent de prétendus ténors politiques qui ont fait de l’injure leur marque de fabrique.
Ne soyons donc pas étonnés que les jeunes copient les vieux, et en pire. Ils ont la modernité avec eux, et l’imagination propre à leur âge aussi.
Notre parler de tous les jours est influencé par notre rapport à la nature, pour évoquer par métaphore certaines qualités ou défauts propres à certaines personnes. C’est un substrat culturel fortement ancré en nous. Senghor appelait Me Wade du sobriquet de ndiombor pour donner une image concrète de l’idée qu’il se faisait du caractère rusé du personnage politique qui parvint à lui arracher le multipartisme. Parler de la noblesse de caractère de quelqu’un revient à le comparer à un lion. Ne soyons donc pas étonnés que les autres animaux avec leurs qualités et défauts qu’on leur prête de manière arbitraire soient utilisés pour qualifier nos dignitaires politiques, parmi lesquels le premier d’entre nous, Macky Sall.
Évitons alors les quiproquos : ils peuvent être dangereux, surtout s’ils éveillent la susceptibilité des destinataires, ou de leurs représentants ! Ami Collé en a fait les frais !
Pourtant d’un lutteur rusé, techniquement fort pour déstabiliser l’adversaire sans coup férir et le terrasser sans qu’il comprenne ce qui lui est arrivé, on dira de lui pour qualifier son talent et exalter son savoir faire : « Saï saï la ! » Tout autant dire de quelqu’un que « Ounkouleu ! » revient à alerter sur sa capacité de nuisance qui commanderait la prudence et le secret vis-à-vis de lui, car il est fort en termes de déstabilisation de l’adversaire ou pour casser et empêcher tout deal qui s’ébruiterait et dont il aurait eu vent !
Il est donc important de comprendre le contexte et d’éviter tout excès de zèle dans toute expédition punitive contre quiconque se prononce surtout en privé sur nos figures politiques et institutionnelles. Tout autant, il me parait impensable de tolérer toute forme d’outrage à nos institutions pour quelque raison que ce soit.
Notre pays doit se ressaisir. Il en est temps !
Cissé Kane NDAO
Président A.DE.R