Devenu maître dans l’art de répondre aux non-questions pour éluder les vraies questions, Ousmane Sonko, qui était attendu sur Atlas Groupe, sur Mercalex, sur Tullow, sur ses titres fonciers et immeubles, sur sa très contestée déclaration de patrimoine, sur l’interdiction d’exercer le métier d’expert fiscal dans les 5 ans suivant le départ de l’administration publique, sur le financement de Pastef par le foncier de l’État…, a meublé son discours du 18 janvier 2019, devant ses militants rassemblés à la Place de l’Obélisque, par des dénégations de toute appartenance à Daesch et par une présentation (du reste fort romantique!) de son épouse à l’assistance. Une façon pour lui de faire acte de transparence pour contester les allégations de ceux qui disaient sa femme enferrée derrière une burka noire! C’est ce qu’on appelle noyer le poisson. Le port vestimentaire de Mme Sonko est, en effet, fort dérisoire devant les faits documentés par la presse qui incriminent M. Sonko et brouillent sa crédibilité d’homme tout court.
Tout au plus le leader de Pastef a-t-il évoqué le scandale dit des 94 milliards, en déclarant que 46 milliards de francs cfa ont été payés par l’État du Sénégal par le biais d’une lettre de confort. A ce niveau, il y a une précision à demander à M. Sonko. Est-ce 94 milliards qui ont été détournés ou les 46, à l’entendre, déjà couverts ? Ousmane Sonko précise qu’il connaît la banque qui a adossé la lettre de confort et le compte dans lequel elle a versé les fonds. Pourquoi, en militant déclaré de la transparence, ne donne-t-il pas ces informations capitales pour la découverte de la vérité ? Ou compte-t-il les utiliser pour tenir les personnes impliquées ? Dans quel but ? A des fins de menace, de chantage… ?
Sonko a donné une « information » importante: les 46 milliards ont été partagés entre des personnes qu’il connaît. Pourquoi n’en a-t-il cité que Mamour Diallo ? Qui sont les autres ? Pourquoi les protège-t-il ? En échange de quoi ? Pourquoi garde-t-il les preuves qu’il dit détenir et qui pourraient permettre, le cas échéant, d’établir les actes allégués de grave délinquance financière ?
En affirmant que l’homme d’affaires Tahirou Sarr a été couvert à hauteur de 46 milliards par une lettre de confort, Sonko a mouillé au moins trois personnalités de l’État: le ministre des Finances, premier gardien de nos deniers, Amadou Bâ; le ministre du Budget, argentier en second, Birima Mangara; le directeur du Trésor, exécutant des décaissements, Cheikh Tidiane Diop. Cette accusation soulève des questions: Pourquoi Amadou Ba et ses services n’y ont-ils pas répondu jusqu’au moment où ces lignes sont écrites ? Pourquoi les attaques virulentes de Sonko contre la gestion économique et financière de l’État, y compris les diatribes dans son livre-programme « Solutions », ne suscitent la moindre réplique au sein de la haute hiérarchie du ministère de l’Economie et des Finances ? Sentiment de culpabilité ? Peur de faire face ? Faiblesse tout court ?
Si ce que dit Sonko est vrai, pourquoi, lorsqu’il éventait ce dont il a voulu faire un scandale, a-t-il épargné Amadou Bâ, Birima Mangara et Cheikh Tidiane Diop pour ne cibler qu’un fonctionnaire éloigné dans la hiérarchie ? Dans le même ordre d’idée, pourquoi n’a-t-il pas indexé Cheikh Bâ, directeur général des impôts et domaines ? Comment expliquer son silence à propos du gouverneur de Dakar, celui-là même qui a conduit la réunion de conciliation et en a dressé un procès-verbal qui porte la dette de l’État à 94 milliards ? Si l’étendue du montant est le problème, n’est-ce pas la responsabilité première du gouverneur qui l’a fixé ?
En clair, Sonko aurait-il, au sein du régime de Macky Sall, des adversaires qu’il dénonce et des alliés qu’il protège ? Quelle spécificité ont ces derniers ? Celle de cotiser pour faire fonctionner la machine Pastef ou son chef, comme cela se suppute dans les milieux feutrés de Dakar ? Ou tout cela n’est-il que pure coïncidence dont l’interprétation malveillante relèverait d’une « manœuvre » d’un « journaliste mercenaire », pour reprendre l’expression usuelle des insulteurs de Sonko ?
La meilleure façon de se défendre, c’est d’attaquer, dit-on en sport. Mais aussi en communication de crise où l’on conseille d’être dans une posture toujours offensive et jamais défensive. Le leader de Pastef a tenté d’appliquer cette technique. Froidement. En politicien. Pour un supplément d’âme, il gagnerait à relire Montesquieu. Comme l’enseigne l’auteur de L’esprit des lois, la République, comme la démocratie, n’a pas pour moteur une technique. Mais une éthique…
Auteur: Cheikh Yérim SECK