Un drone vole dans le salon d’exposition du siège de DJI à Shenzhen, en Chine, le 11 mai 2017-AFP/Archives/Nicolas ASFOURI
En 10 minutes, l’aéronef sans pilote pulvérise un demi-hectare de céréales dans le nord de la Chine: un débouché prometteur pour DJI, numéro un mondial des drones civils, qui tente un délicat pari de spécialisation dans l’agriculture.
Piloté à distance au-dessus de terres du Henan, l’appareil à hélices appartient à une firme locale de drones qui propose ses services aux agriculteurs.
Il peut transporter 15 kilos d’insecticide « et couvrir la même surface qu’une trentaine d’hommes », se félicite auprès de l’AFP le patron de l’entreprise, Jiang Sanchun.
Pour l’industriel chinois DJI, qui verrouille déjà le marché mondial des drones civils, l’agriculture est « un secteur d’avenir »: il a signé mardi un protocole d’accord avec le géant américain de l’agrochimie Dow Chemical pour développer des solutions conjointes.
« En cinq ans, on est passé de drones qui ne faisaient que photographier à des appareils très spécialisés », s’enthousiasme Paul Xu, vice-président de DJI, lors d’un entretien à Shenzhen (sud) où le groupe a son siège.
Fondée en 2006 dans cette métropole voisine de Hong Kong par un jeune passionné de modélisme, DJI produit entre 60% et 65% des drones civils dans le monde, selon le cabinet Frost&Sullivan.
En lançant en 2013 son « Phantom », premier d’une série de drones grand public dotés de caméras haute définition, l’entreprise entendait « créer un nouveau marché ».
Pari réussi: DJI, qui écoule 75% de sa production à l’étranger (essentiellement aux Etats-Unis et en Europe) et commercialise notamment ses produits dans les Apple Stores, fait un tabac chez les amateurs de photo aérienne.
– Pompiers, groupes miniers –
Pour autant, face à l’émergence d’ambitieux rivaux chinois, le groupe se cherche de nouveaux horizons.
Fin 2015, il lançait son Agras MG-1, destiné à la pulvérisation d’insecticides agricoles: il en a déjà écoulé quelque 6.000 exemplaires. D’autres modèles ont suivi, permettant d’inspecter l’état des récoltes ou de l’irrigation.
DJI (1,5 milliard de dollars de revenus revendiqué l’an dernier) ne cesse d’élargir sa gamme: « Un drone peut surveiller les réseaux énergétiques dans les zones difficiles d’accès (…), appuyer des missions de sécurité publique ou de secourisme », observe M. Xu.
Des policiers chinois utilisent des drones à caméras thermiques pour rechercher des fugitifs, tandis qu’au Brésil ou en Californie, des pompiers les emploient pour cerner la configuration d’un incendie.
« DJI s’introduit sur le segment pro, parce que c’est là où l’emmenaient de toute manière ses clients », qui adaptaient à leurs besoins des drones ordinaires, indique Susan Eustis, présidente du cabinet WinterGreen Research.
Pour être au niveau, DJI multiplie les partenariats, s’alliant notamment au concepteur de logiciels Propeller Aero pour un modèle ciblant l’industrie minière.
Selon le cabinet Gartner, les ventes mondiales de drones, après avoir bondi de 60% l’an dernier, devraient atteindre 6 milliards de dollars en 2017 et dépasser 11,2 milliards en 2020, dopées par l’assouplissement des réglementations.
Or, si les drones à usage commercial ne devraient représenter que 174.000 unités cette année (6% du marché), ils constituent 60% du chiffre d’affaires du secteur en raison de leurs prix onéreux.
– Ciel agité –
Certes, DJI devrait rester « sans concurrent sérieux sur les cinq prochaines années », grâce à sa capacité de proposer de nouveaux produits en quelques mois, estime Mme Eustis. En face, l’américain 3D Robotics a renoncé à produire des drones et le français Parrot a dû se restructurer dans la douleur.
Mais sur les drones spécialisés, DJI est loin d’être en terrain conquis. « Pour les solutions haut de gamme, au-dessus de 7.500 dollars, sa part de marché en Amérique du Nord fond à 33% », avertissait dans une note l’an dernier Colin Snow, du cabinet Skylogic.
Et de fustiger la tentation de « rhabiller » des drones grand public pour les entreprises, face à des concurrents très pointus — dont des divisions des américains Boeing et Lockheed-Martin.
Dans l’agriculture, la concurrence s’étoffe (Parrot envisage aussi des applications dédiées), mais les marges des cultivateurs étant étroites, les prix élevés des drones pourraient entraver leur essor, avertit Gerald Van Hoy, analyste de Gartner.
Paul Xu s’en dit cependant persuadé: avec 25% de ses 8.000 employés occupés à la recherche, DJI est capable d’engendrer « le cocktail technologique » gagnant.
Sans pour autant viser la lune: DJI ne prévoit encore aucun drone capable de livrer des colis à domicile, « un concept pas encore mûr », sourit M. Xu.