C’est un Macky Sall qui affiche une nouvelle obsession vis-à-vis des médias. Depuis le 31 décembre 2020, Macky Sall ne cesse de multiplier des sorties au sujet de la presse au Sénégal. Si ce n’est pas dans un discours à la nation ou à l’occasion d’une interview, c’est alors pendant les séances hebdomadaires avec le gouvernement qui sont devenues apparemment le prétexte idéal.
Et la dernière en date a eu lieu mercredi 3 février, en conseil des ministres, où il a demandé à son gouvernement de veiller à la qualité des programmes des radios et télévisions. « Ces contenus doivent renforcer la paix sociale, la cohésion nationale, l’Autorité de l’État et les intérêts du Sénégal », déclare Macky Sall cité par le communiqué.
Et pour mieux exercer ce contrôle sur la presse, le patron de l’Exécutif demande à son gouvernement de réchauffer le cadre juridique et administratif dans le segment audiovisuel, sans oublier la presse en ligne.
« Dans le contexte de transformation digitale de notre société, le Président de la République rappelle au Gouvernement, l’impératif d’actualiser les cahiers des charges opposables aux radios et télévisions, en veillant dans le cadre de l’ancrage de la TNT, à la spécialisation distinctive des acteurs », rapporte le communiqué.
Macky Sall demande également à son équipe de « mettre en place un dispositif de régulation et d’encadrement, spécifique aux réseaux sociaux ».
Assane Diagne : « il y a plus de questions que de réponses »
De quoi susciter l’inquiétude chez les acteurs. Surtout qu’à la fin de l’année, le Président dénonçait les dérives de la presse en ligne, trop nombreuses et sources de danger à ses yeux. Aujourd’hui, avec sa dernière sortie, il est loin de rassurer le monde de la presse. « Nous sommes un peu inquiets. Ça fait plusieurs semaines, à chaque conseil des ministres, il parle des médias. Aujourd’hui, il parle d’encadrement et de régulation, alors que tout l’arsenal juridique est disponible, mais l’État n’a pas fait son rôle », regrette Ibrahima Lissa Faye, président de l’Association des professionnels de la presse en ligne (Appel).
Représentant de Reporter sans frontières au Sénégal, Assane Diagne s’interroge sur les vraies motivations du chef de l’État. « On se pose des questions. Qu’est-ce qui se cache derrière ces différentes sorties. Va-t-il poser des actes qui vont aller dans le sens de renforcer ou d’affaiblir la presse. Pour le moment, il y a plus de questions que de réponses », avoue-t-il. Toutefois, Assane Diagne souligne que tant que des actes allant dans le sens de restreindre la liberté de presse ne sont pas posés, il faut se garder d’aller trop vite en besogne.
À son arrivée au pouvoir en 2012, Macky Sall a trouvé le projet du nouveau code de la presse sur la table du gouvernement. Mais ce n’est qu’en juin 2017 que la loi a été votée à l’Assemblée nationale. Et il a fallu attendre encore presque 4 ans, en janvier 2021, pour que les projets de décrets de promulgation soient adoptés en conseil des ministres. Quant à la convention collective de la presse, ce n’est qu’en 2018 qu’elle a été signée. Et son application n’est toujours pas effective.
Curieusement, après tant d’années d’indifférence, Macky Sall semble avoir trouvé subitement un intérêt particulier pour les médias depuis le début de l’année 2021. « Ça intrigue ! Ça fait 8 ans que la presse est laissée en rade. Tous ces problèmes dont il parle, c’est parce que l’État a laissé pourrir la situation », se désole Ibrahima Lissa Faye.
« On dirait qu’il n’a pas la bonne information »
Pour le président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps), Mamadou Ibra Kane, le président Macky Sall a l’air d’être mal informé sur la presse et ses ministres ne font pas le travail. « On dirait qu’il n’a pas la bonne information, car tout ce qu’il demande est déjà prévu par les textes. Il ne reste que l’application ».
Par ailleurs, en plus de la demande d’application effective des textes, Macky Sall se montre particulièrement critique envers les médias, tout en réclamant un contenu qui renforce l’autorité de l’État, entre autres points. Faut-il dès lors soupçonner le pouvoir de vouloir mettre aux pas les médias ?
Si c’est le cas, c’est peine perdue, prévient le président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps), Mamadou Ibra Kane. « Ce n’est pas à l’État ou au gouvernement de dicter ce que les médias doivent faire. Nous sommes régis par des textes », rétorque Kane, par ailleurs patron de Africom, éditeur des journaux sportifs Stades et Sunu Lamb.
Un des doyens de la profession, joint par Seneweb, reste persuadé qu’il est difficile à l’heure actuelle, pour un pouvoir, d’exercer un contrôle sur la presse. Pour lui, la seule solution viable est d’encadrer et d’inviter les acteurs à la responsabilité. « Je ne pense pas qu’on puisse faire la police des médias au 21ème siècle. Nous ne sommes plus du temps de Senghor où même la diffusion des tracts se faisait dans la clandestinité », souligne ce formateur en journalisme.
Un contexte de ni oui, ni non
Quant à l’application effective du nouveau code de la presse, Kane et Faye s’accordent à dire qu’il reste encore beaucoup de textes à prendre et la mise en place d’un organe central qui est la Haute autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Harca), prévue par le code.
Outre les médias, Macky Sall veut aussi un contrôle sur les réseaux sociaux. Là aussi, nos interlocuteurs sont plus que sceptiques. « Ce sera très difficile, je dirais même que c’est impossible. On peut bloquer ou censurer, mais on ne peut pas réguler », affirme Assane Diagne.
Quant à Lissa Faye, il ne voit pas la pertinence d’ajouter quoi que ce soit à ce qui existe déjà. Le patron du média en ligne PressAfrik rappelle qu’il y a le code pénal de 2016, la loi sur la communication électronique en 2018 et d’autres textes qui encadrent déjà l’usage des réseaux sociaux. Tout un arsenal qui, à ses yeux, mérite d’être revisité avant une quelconque nouvelle initiative.
En attendant que le chef de l’État soit plus clair sur ses intentions, force est de reconnaître que ses différentes sorties sur les médias, la dernière en particulier, sont loin de rassurer les acteurs de la presse, l’opinion en général. Et dans ce contexte de ‘’ni oui, ni non » sur une éventuelle candidature de Macky Sall à un troisième mandat, les esprits se sont vite projetés vers 2024.