Par Abdoulaye DIENG, entrepreneur
Le Sénégal peine à se relever d’une longue période de dégradation. Les séquelles de la dernière gouvernance sont profondes : une corruption endémique, le détournement massif des deniers publics, une économie affaiblie, une société désorientée. Si le régime de Macky Sall a considérablement aggravé la crise, il serait injuste de lui en imputer seul la responsabilité. La descente vertigineuse avait déjà été amorcée dès l’ère libérale introduite par le président Abdoulaye Wade. Depuis plus de vingt ans, notre pays est prisonnier d’un système qui confisque les richesses, détruit les valeurs et érige la prédation en facteur de réussite.
Notre économie repose sur une structure aussi déséquilibrée qu’inefficace, conçue non pour le progrès collectif mais pour l’enrichissement d’une élite nationale et d’intérêts étrangers. Les ressources naturelles sont bradées dans l’opacité, exportées sans valeur ajoutée. Les grandes affaires sont contrôlées par des capitaux extérieurs bénéficiant d’exonérations fiscales injustifiées, avec pour seule contrepartie quelques emplois précaires. Pendant ce temps, l’entrepreneur engagé, créateur d’emplois et de valeur, est marginalisé, étranglé par un environnement miné par les passe-droits, les connivences politiques et un patronat dépassé, davantage attaché à ses rentes qu’à toute dynamique de transformation. L’État, au lieu d’assumer un rôle stratégique, s’est réduit à un simple guichet captif au service de groupes de pression. Nos maigres ressources publiques servent ainsi à nourrir un système de rente inefficace.
Dans l’ombre de cette économie de prédation, un système informel tentaculaire s’est enraciné — créé et entretenu par des agents de l’État complices et des politiciens véreux, nourri par la corruption et le détournement de fonds publics. Ce réseau alimente des circuits parallèles, détourne des marchés, brade des biens publics et s’associe à des profils soigneusement choisis : peu qualifiés, sans repères éthiques, mais obéissants, discrets, audacieux et bien introduits. Ces hommes du système agissent comme relais d’un mécanisme de prédation parfaitement huilé. Les fonds ainsi captés circulent dans un cercle fermé : une partie est redistribuée à des figures d’influence — religieux, communicateurs traditionnels, journalistes, notables — pour acheter le silence et entretenir l’illusion d’un statut. Le reste est investi dans l’immobilier ou dans l’importation de voitures de luxe, sans impact durable sur l’économie réelle. Le plus révoltant, c’est que cette richesse, souvent mal acquise, est aussi éphémère que superficielle.
Cette dérive aurait pu être freinée par une élite lucide. Mais trop souvent, elle a préféré la compromission au courage. L’intellectuel s’est mué en chroniqueur de salon, le religieux en rentier du silence, l’artiste en complice décoratif. Les voix libres ont été marginalisées, parfois étouffées. Et la majorité, par résignation ou confort, s’est adaptée à un système fondé sur l’impunité.
Aujourd’hui, un vent nouveau souffle. Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, porteur d’une vision de rupture, trace les grandes orientations du pays. Sous son autorité, le Premier ministre Ousmane Sonko dirige un gouvernement qui engage des réformes fortes et cohérentes : audits des institutions, refondation de la justice, assainissement de la gestion publique, reddition des comptes, égalité des chances — le tout soutenu par un programme clair et une volonté politique affirmée. Le signal est fort. Mais cette dynamique ne réussira que si elle est soutenue par une mobilisation citoyenne massive, lucide et engagée.
L’État doit maintenir le cap de la rupture et s’adresser à la population dans un langage clair et précisément défini. Il ne s’agit pas de satisfaire des attentes populistes, comme distribuer des moutons pour la Tabaski à chaque foyer, mais de rappeler que celui qui n’en a pas les moyens est religieusement dispensé, sauf s’il bénéficie d’un élan de solidarité. C’est cette entraide qu’il faut encourager : un citoyen qui aide son prochain devrait pouvoir bénéficier d’une reconnaissance fiscale partielle. Voilà comment se construit une nation solidaire et responsable.
L’État peut poser le cadre, tracer la voie, fixer des règles plus justes. Mais il ne bâtira pas le pays à notre place. Il est urgent de rompre avec la culture de l’attente passive. Voter ne suffit plus. Il ne suffit plus de glisser un bulletin dans l’urne pour ensuite, les bras croisés, attendre des miracles d’un gouvernement que l’on observe à distance. Pas plus qu’il ne suffit à l’opposant de guetter le moindre faux pas dans l’espoir cynique d’un échec. Le développement ne viendra pas d’en haut : il se construira avec nous, ou il ne se fera pas.
Le changement ne se décrète pas : il se prouve dans l’action. Il exige un engagement personnel et collectif. Chacun doit agir là où il est — dans son métier, son quartier, son organisation. Le Sénégal nous appartient. Nous sommes comptables de son présent comme de son avenir. Refusons la fatalité, dénonçons l’injustice, reconstruisons nos institutions et soutenons les politiques publiques avec exigence et esprit constructif.
Le moment est venu de retrousser nos manches. De reprendre notre destin en main. De bâtir un pays juste, souverain et tourné vers l’avenir. C’est une exigence morale. C’est un devoir historique.