Quelqu’un m’a partagé une vidéo TikTok. Quelques secondes, un extrait de la rencontre entre le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et son homologue américain. On y voit notre chef d’État, évoquer la passion du golf de Donald Trump, glisser quelques mots d’admiration… avant de suggérer, avec un sourire tranquille, qu’un parcours de golf pourrait voir le jour au Sénégal.
J’ai d’abord souri.
Mais je n’ai pas ri.
Puis quelqu’un en a parlé autrement et cela m’a fait réfléchir.
L’extrait circulait déjà, moqué ici, tourné en dérision là. On dénonçait un propos déconnecté des réalités, un luxe malvenu dans un pays aux urgences si nombreuses. Pourtant, quelque chose m’a retenue, grâce à cette deuxième voix, cette autre lecture.
J’ai revu la vidéo.
Puis réécouté les mots.
Et ce qui m’a frappée, ce n’est pas l’objet évoqué… c’est la posture derrière la phrase .
Ce que le Président a dit, très exactement :
« Je me demandais bien quel était votre secret pour résoudre toutes ces crises complexes, et quelqu’un m’a dit que vous êtes un excellent champion de golf, qui demande concentration, précision, bref les qualités qu’il faut pour être un grand leader. Le Sénégal a des opportunités exceptionnelles à offrir pour tout ce qui est hôtellerie et tourisme. Pourquoi ne pas penser à investir dans l’hôtellerie avec un parcours de golf qui serait situé à 4h de New York, 6h de Miami, 5h de l’Europe et 8h des pays du Golfe, qui pourraient se retrouver là-bas pour que vous puissiez être challenger et montrer vos talents de golfeur ? »
Tentative de décryptage lucide
Ce n’est pas une phrase jetée au hasard, ni une flatterie sans fond. Ce passage révèle une intention stratégique maîtrisée, à plusieurs niveaux.
• D’abord, une entrée habile par la métaphore du leadership , en liant les qualités du bon golfeur à celles d’un dirigeant efficace.
• Ensuite, un pitch économique déguisé en conversation détendue : il ne demande rien, il propose.
• Enfin, une géographie savamment rappelée : le Sénégal comme carrefour naturel, à équidistance des pôles d’influence mondiaux (Amérique, Europe, Golfe).
C’est une posture d’hôte souverain , qui dit subtilement : » Nous avons quelque chose à vous offrir. Venez investir ici, pas pour nous sauver, mais parce que ça en vaut la peine. »
Bien sûr, ce type de formulation peut heurter ou dérouter. Il manque peut-être une mention explicite des populations locales , une articulation plus visible avec les priorités nationales. Mais cette prise de parole mérite mieux qu’un buzz moqueur. Elle mérite une analyse exigeante, qui reconnaît à la fois l’audace diplomatique et le besoin d’ancrage dans le réel.
Et si nous changions de grille de lecture ?
Hypothèse de base :
Un golf 18 trous de qualité internationale, adossé à un complexe hôtelier haut de gamme, proche de Dakar ou Saly, avec un positionnement tourisme sportif & diplomatique de niche.
1. Un changement de récit
Le Sénégal ne se présente plus comme un pays en attente, mais comme une terre d’accueil ambitieuse, proactive, prête à séduire autrement.
2. Un levier d’attractivité économique
Dans de nombreux pays, les parcours de golf sont des moteurs de croissance : emplois directs, tourisme haut de gamme, retombées locales, image maîtrisée.
3. Un message intérieur
Oser parler de golf à la face du monde, c’est aussi dire à son peuple : « _Nous ne sommes pas condamnés à penser petit. _ » Ce n’est pas oublier les urgences, mais rappeler le droit de rêver, d’aspirer, de viser haut.
Je ne suis pas partisane. Juste une citoyenne qui s’interroge.
Je n’ai pas ri.
Ou plutôt… pas tout de suite.
Comme beaucoup, j’ai d’abord été surprise. L’idée d’un parcours de golf “hyper top”, lancée au détour d’un échange présidentiel, pouvait sembler déplacée dans un pays où les attentes sont immenses, les urgences criantes, les priorités vitales.
Mais une fois l’effet de surprise passé, une autre lecture s’est imposée à moi. Une lecture plus fine, moins bruyante. Celle d’un pays qui, peut-être pour la première fois depuis longtemps, ose parler d’ambition autrement. Non plus par le prisme de la plainte ou du manque, mais dans le langage du standing, du prestige, de l’audace maîtrisée. Ce n’est pas tant le golf qui m’a interpellée, que le signal qu’il envoie. Un signal à double sens : vers l’extérieur pour dire que le Sénégal est prêt à recevoir autrement ; et vers l’intérieur pour rappeler que la dignité ne se limite pas à survivre, elle consiste aussi à se projeter, à se hisser à hauteur de rêve.
Oui, rêver d’un parcours de golf de classe mondiale n’est pas trahir ceux qui peinent à joindre les deux bouts. Cela peut être une manière différente de redistribuer, d’irriguer l’économie, de créer de l’emploi, de stimuler des filières. Cela peut être un levier, si ce n’est une provocation féconde, à condition que la vision ne flotte pas dans les hauteurs, mais prenne racine dans le réel.
Je ne suis pas experte. Je suis une citoyenne. Une femme parmi tant d’autres qui observe, qui doute, qui espère. Je ne prétends pas que c’est la priorité du moment.
Mais je me refuse à balayer une idée d’un revers de main simplement parce qu’elle ne parle pas immédiatement au ventre. Il faut parfois le courage de nourrir l’esprit. D’imaginer un Sénégal qui ne se raconte pas seulement à travers ses manques, mais aussi à travers ce qu’il ose rêver pour lui-même. Alors non, le Président n’a pas parlé d’un hôpital. Il a parlé d’un golf. Et peut-être, dans le vacarme des critiques, faut-il entendre cela non comme une distraction, mais comme un déplacement du regard. Une tentative maladroite pour certains, inspirante pour d’autres de dire que le Sénégal peut penser grand, même autrement. À nous, ensuite, de veiller à ce que cette grandeur ne reste pas au sommet, mais descende jusqu’aux racines.
En complément : ce que ce parcours de golf pourrait générer
Pour celles et ceux qui veulent aller au-delà du symbole :
Un golf international 18 trous, adossé à un complexe hôtelier de standing, pourrait représenter :
• 10 à 30 milliards FCFA par an de retombées économiques directes ;
• Plus de 500 emplois directs et indirects (construction, entretien, hôtellerie, artisanat, agriculture de proximité…) ;
• Un élan pour les PME locales , les écoles de formation, et les collectivités territoriales ;
• Une vitrine de soft power, idéale pour accueillir des forums, retraites diplomatiques, investisseurs.
À condition, bien sûr, que ce rêve soit pensé avec intelligence, inclusivité et durabilité.
Et si on voyait plus loin encore ?
Ce parcours pourrait devenir l’ancrage d’un «Golf & Nature Resort», pensé comme un écosystème vertueux : réutilisation des eaux usées, énergies renouvelables, circuits courts, tourisme durable.
Et puis… soyons sérieux deux minutes.
Ce n’est pas le golf qui est choquant, c’est qu’un parcours bien irrigué semble plus déranger que des décennies de projets asséchés.
On s’est habitués à voir des milliards engloutis dans des promesses sans vision,
mais un green bien pensé, lui, déclenche des torrents d’indignation.
Alors peut-être que ce n’est pas le rêve qui dérange… mais l’idée qu’il puisse être assumé, structuré et visible.
À ce rythme, il faudra bientôt s’excuser d’avoir de l’ambition, même si c’est sur gazon.
Astou Thiam