PREMIER ANNIVERSAIRE DE L’ACCORD POLITIQUE POUR LA PAIX ET LA RECONCILIATION EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE (APPR-RCA)
Allocution du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la République centrafricaine et Chef de la MINUSCA, M. Mankeur Ndiaye
Le 6 février 2020
Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat,
Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement,
Monsieur le Vice-Président de l’Assemblée nationale,
M. le Président François Bozizé, ancien Président centrafricain,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Institutions constitutionnelles,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Chefs de Missions diplomatiques et Consulaires et Représentants des Organisations Internationales,
Distingués invités, Mesdames et Messieurs
- Il y a un an, le monde avait les yeux rivés ici dans cette salle du Palais de la Renaissance, où s’écrivait une page importante de l’histoire de la République centrafricaine : la signature de l’Accord politique pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine entre le Gouvernement et 14 groupes armés. Le même jour, j’ai été nommé Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies et Chef de la MINUSCA. Un an déjà s’est écoulé et nous voici à nouveau réunis en ce même lieu pour commémorer les 12 premiers mois de la mise en œuvre de l’Accord de paix du 6 février 2019. Comme il y a un an, le monde et l’ensemble des Centrafricaines et des Centrafricains ont de nouveau les yeux rivés ici et attendent sans doute de cet événement qu’il ne soit pas seulement un moment de commémoration, mais qu’il soit également et surtout un moment de méditation : méditation sur le difficile chemin parcouru, méditation sur les efforts certains qui restent à faire pour consolider et élargir les acquis et relever les défis d’une paix et d’une réconciliation durables dont rêvent les populations meurtries de ce beau pays qu’est Be Africa (la République centrafricaine).
Monsieur le Président de la République,
Distingués invités,
- L’Accord de paix du 6 février, nous devons unanimement le reconnaître, demeure une des avancées politiques les plus importantes qui a ouvert la porte à une nouvelle ère pour le peuple centrafricain, plus que jamais désireux de tourner le dos aux nombreuses crises qui ont secoué la RCA. Il était donc important de nous retrouver aujourd’hui pour apprécier les acquis mais aussi identifier, comme je le disais, les défis persistants dans le cadre de sa mise en œuvre, afin de mobiliser le peuple centrafricain tout entier et concrétiser l’ensemble des engagements pris au titre de l’Accord. L’heure n’est donc pas seulement à la célébration mais à une remobilisation des énergies et de l’espoir quant aux opportunités que cet Accord a pu offrir et continue d’offrir à la RCA dans sa quête de paix et de stabilité.
- Ce moment solennel que nous vivons à l’instant ne relève ni d’un simple besoin de commémoration encore moins d’expression d’une autosatisfaction, mais plutôt de notre commune volonté de jeter humblement un regard rétrospectif sur les progrès engrangés et défis à relever depuis. C’est à ce prix que les leçons objectivement tirées de la première année nourriront notre partenariat sans cesse renforcé, afin que nous puissions relever collectivement les défis qui se dressent devant la République centrafricaine dans sa marche vers la Paix.
- Certes la mise en œuvre de l’APPR-RCA n’a pas été simple ; elle a connu des difficultés qui ont nécessité une mobilisation accrue de tous les acteurs pour y faire face. Nonobstant ces contraintes, l’APPR demeure le cadre fédérateur des initiatives de dialogue et reste un outil essentiel des possibilités qui peuvent résulter du compromis et de la coopération. Il offre un cadre au gouvernement, aux garants et aux facilitateurs, pour apporter des réponses dans la recherche des solutions pour rétablir une paix durable.
Monsieur le Président de la République,
- Notre analyse comparative de la mise en œuvre des Accords de paix dans le monde ainsi que leur durée de vie, nous impose un réalisme quant à la patience requise pour en produire les effets utiles et durables. Nous en sommes parfaitement conscients. Mais nous restons plus que jamais déterminés à aligner nos efforts à la hauteur de votre forte volonté politique constamment renouvelée en faveur de la mise en œuvre effective de l’Accord de paix, comme en témoignent la déclaration de politique générale du 29 Avril 2019 de votre Premier ministre et la feuille de route du Gouvernement déclinée lors de la réunion du Groupe International de Soutien à la République centrafricaine du 17 avril de la même année. Qu’il me soit ainsi permis de vous féliciter pour cette forte volonté politique et d’encourager les efforts de votre Premier ministre et l’ensemble du Gouvernement pour les performances réalisées dans la mise en œuvre de l’Accord.
- Toutefois, une année aura suffi pour recueillir les traits caractéristiques d’un Accord de Paix crédible suggérant une approche globale qui offre des perspectives de réponses graduelles et appropriées aux causes profondes de la crise. Parmi ces caractéristiques, nous retiendrons la forte volonté politique du Gouvernement, y compris le maintien des 14 groupes armés signataires dans un cadre de dialogue constructif. De surcroît, la capacité de sauvegarde de l’intégrité de l’Accord démontrée par le Gouvernement, les Garants, l’Union Africaine et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale, dans un environnement sécuritaire des plus fragiles, le soutien indéfectible des partenaires internationaux et l’accompagnement des pays de la sous- région à travers leur rôle de Facilitateurs, sont autant de critères de succès qui auront marqué cette première année. Le récent regain d’intérêt pour l’Accord, manifesté par toute la classe politique dans sa diversité, notamment à travers la série de concertations initiées par vous-même, Monsieur le Président de la République, revitalise l’espoir que nous nourrissons tous de voir ce pays continuer inlassablement sa marche vers la paix et la réconciliation nationale. Je voudrais saisir cette opportunité pour encourager l’esprit de dialogue qui prévaut dans la classe politique, entre les institutions et avec la société civile en faveur d’une appropriation par tous de l’Accord politique dont la mise en œuvre contribuera, sans nul doute, à la création de conditions propices à la tenue d’élections libres, démocratiques, inclusives et transparentes dans le respect des délais constitutionnels.
- La formation d’un Gouvernement inclusif le 23 mars 2019, avec des représentants des groupes armés nommés à des postes ministériels, à la présidence, à la Primature, à l’Assemblée nationale, dans l’Administration territoriale, à la coordination des Unités spéciales Mixtes de Sécurité (USMS) et dans les Représentations consulaires et diplomatiques, est l’une des avancées majeures à fortement saluer.
- Les Mécanismes de suivi ont joué un rôle essentiel dans la facilitation de la mise en œuvre de l’Accord, multipliant les fora entre les parties signataires pour aborder les questions relatives à la mise en œuvre de l’APPR-RCA. Ces mécanismes cohabitent avec des initiatives locales de paix qui ont donné lieu à des accords dans onze villes de l’intérieur du pays grâce aux Comités Locaux de Paix et de Réconciliation quotidiennement soutenus par la MINUSCA. Cette articulation des dynamiques locales de paix avec et la mise en œuvre de l’Accord du 6 février découlent d’une démarche structurelle du gouvernement qui nécessite davantage de soutien et de ressources pour une socialisation des processus politique et de paix, corolaire d’une large appropriation nationale. La MINUSCA s’inscrit dans cette perspective pour aller au-delà des 450 Projets à Impact Rapide qu’elle a déjà financés à hauteur de plus de 15 millions de dollars afin de continuer à promouvoir la cohésion sociale et d’accompagner la restauration de l’autorité de l’Etat en étroite coopération avec le Gouvernement et les communautés.
- La réduction de la violence, l’extension de la présence et de l’autorité de l’État et le désarmement dans l’Ouest du pays, méritent aussi d’être relevés. En effet, la majorité des Préfets et des sous-préfets occupent aujourd’hui leurs postes et favorisent le déploiement des fonctionnaires, assurant les services de base, notamment, l’éducation, la justice, la santé et des forces de défense et de sécurité. Ces performances sont à encourager, tant on ne saurait trouver d’alternative à la garantie de paix sociale offerte par l’Etat centrafricain sur l’étendue de son territoire. C’est en cela que l’Accord de paix du 6 février s’est avéré un outil de facilitation d’un redéploiement de l’appareil d’Etat qui jouit progressivement de la plénitude de sa souveraineté qu’aucune autre entité ne saurait incarner à sa place.
- La finalisation de l’avant-projet de loi portant création de la Commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation (CVJRR) constitue par ailleurs un pas important vers la mise en place de cette Commission tant attendue, surtout par les victimes. Son opérationnalisation sera une opportunité pour mettre en œuvre les recommandations du Forum National de Bangui de 2015 et faire avancer la justice transitionnelle dans le pays, notamment en ce qui concerne la recherche de la vérité sur les violations massives des droits de l’homme ainsi que la réhabilitation des victimes sans lesquelles aucune paix n’est durable et aucune réconciliation n’est viable.
- De même, il est important de souligner qu’un certain nombre de mesures ont déjà été prises par le Gouvernement pour l’adoption par l’Assemblée nationale lors de sa prochaine session, de certains projets de lois prévus par l’Accord, notamment la loi sur les partis politiques et le statut de l’opposition, la loi sur le statut des anciens Présidents de la République, et la loi sur la décentralisation. L’effet combiné de ces différentes lois prévues par l’Accord contribuera, sans nul doute, au dépassement de la crise et offrira aux groupes armés diverses perspectives en vue de leur transformation en amorçant l’approfondissement de la politique de décentralisation pour mieux rapprocher les citoyens de l’appareil d’Etat.
Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs,
- Si l’Accord de paix a permis de réaliser des progrès importants dans différents domaines, de nombreux défis persistent encore. Les violations, y compris celles des droits de l’enfant et celles basées sur le genre ainsi que le non-respect des engagements pris prennent en otage la population qui aspire à un avenir meilleur. Je lance un vibrant appel à toutes les parties signataires, à respecter leurs engagements et à redoubler d’efforts pour démontrer leur bonne foi dans la mise en œuvre de l’APPR-RCA. J’encourage également, les Garants de l’Accord de paix, les Facilitateurs ainsi que la communauté internationale dans son ensemble, à continuer de soutenir le processus de paix en RCA. C’est le lieu de relever, pour s’en féliciter, la contribution significative du Fonds de Consolidation de la Paix des Nations Unies par la mise à disposition de 20 millions de dollars pour soutenir la mise en œuvre de l’Accord. Des efforts similaires aux projets de réduction des violences liées à la transhumance estimés à plus de 82,000 dollars et l’accélération des autres initiatives de développement économique et social sont plus que nécessaires pour répandre les dividendes de la paix sur toute l’étendue du territoire, au bénéfice des populations.
Monsieur le Président de la République,
Chef de l’Etat
Mesdames et Messieurs,
- Je voudrais dire ici et devant vous que l’Accord du 6 février répond à une attente longtemps exprimée par notre Secrétaire général Antonio Guterres, à savoir que le maintien de la paix en Centrafrique, doit se fonder sur une expression politique claire : la volonté des Centrafricaines et des Centrafricains de renouveler leur contrat social, de réaffirmer leur commun vouloir de vivre-ensemble, afin de faire baisser les tensions et de créer les conditions d’un relèvement du pays sur des bases saines ; un pays où le recours à la violence comme instrument de conquête du pouvoir sera banni à jamais.
- Comme vous avez dû le constater, la Résolution 2499 (2019) renouvelant le mandat de la MINUSCA jusqu’au 15 novembre 2020, consacre expressément le soutien de la MINUSCA, à la mise en œuvre de l’Accord de paix du 6 février 2019. Le Conseil de sécurité à travers cette nouvelle Résolution, a aussi exhorté les groupes armés, à la mise en œuvre de l’APPR-RCA, à mettre un terme aux violations de l’Accord et aux actes de violence sexuelles. Il a sollicité l’appui des États voisins, des organisations régionales et des partenaires internationaux au processus de paix et à la relance des Commissions mixtes bilatérales. Il est ainsi établi que la crédibilité de l’accord est de notre responsabilité collective. A cet effet, prenant la juste mesure du mandat de la MINUSCA et l’exacte teneur de l’article 35 de l’Accord ainsi que du nouveau régime de sanctions endossé par les Garants, la MINUSCA prendra toute mesure utile pour prévenir ou répondre aux violations intolérables tout en privilégiant l’usage préalable de ses bons offices politiques en concertation avec ses partenaires.
- Je tiens à réaffirmer que la MINUSCA aux côtés des Garants, continuera d’apporter l’appui politique, technique et logistique nécessaire dans la limite de ses moyens pour la mise en œuvre intégrale de l’Accord de paix. Comme viennent de le rappeler l’Organisation des Nations Unies, l’Union Africaine et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale, dans leur communiqué conjoint de ce jour, « l’Accord demeure la seule voie viable vers une paix durable en République Centrafricaine ». J’y ajoute qu’il n’est pas à renégocier mais plutôt à exécuter, et de bonne foi, dans le dialogue et la concertation, en territoire centrafricain. Les divergences entre les signataires devront être examinées ici, en RCA et non à l’étranger.
- Je voudrais, pour conclure, réitérer l’engagement des Nations Unies à continuer d’œuvrer aux côtés de tous les acteurs qui travaillent sans relâche pour le retour de la stabilité en République centrafricaine. Je forme le vœu que cette commémoration nous permettra de tirer les grandes leçons de l’expérience des 12 premiers mois de mise en œuvre et de nous remobiliser afin de créer les meilleures conditions pour l’organisation et la tenue, dans les délais impartis par la Constitution, des élections présidentielle, législatives et locales en 2020-2021 avec l’assistance technique, logistique et sécuritaire de la MINUSCA et de l’ensemble des partenaires de la République centrafricaine. Nous sommes déterminés à gagner ce pari car le peuple Centrafricain ne peut se payer le luxe d’une nouvelle transition. Il n’y aura pas de nouvelle transition. Avec tous les partenaires de la RCA, nous sommes engagés dans la recherche et la mobilisation du financement nécessaire des élections. Un plan de sécurisation des élections est en cours de finalisation. Pour terminer, je tiens à redire au Président de la République que nous sommes à vos côtés pour vous accompagner. Vous avez fait un choix difficile : le choix de la paix qui vous vaut d’être critiqué. Mais vous avez choisi la voie de la raison en faisant des concessions majeures. Nous vous soutenons dans cette voie, et toute la Communauté Internationale avec nous.
Je vous remercie – Singila Mingi