L’intégration d’Ousmane Sonko dans l’ouvrage « Les maîtres du monde » dirigé par Pascal Boniface invite à une lecture géopolitique et géostratégique approfondie. Cette présence ne constitue pas un simple classement symbolique ; elle traduit une reconfiguration des formes de puissance et des rapports internationaux. Pour la première fois, un acteur politique issu d’un pays africain non hégémonique est identifié comme contributeur à la redéfinition de l’ordre mondial. Ce fait mérite d’être analysé dans une perspective articulant les transformations internes du Sénégal, les dynamiques panafricaines de souveraineté et les évolutions systémiques du monde polycentrique.
Du point de vue géopolitique interne, l’ascension de Sonko repose sur un socle démographique déterminant : une jeunesse majoritaire, politisée et connectée. Dans la logique dumontienne, cette ressource démographique se convertit en puissance politique lorsqu’elle s’organise et se territorialise. La mobilisation nationale qui l’a porté au centre de la scène politique sénégalaise n’est pas seulement sociale ; elle est territoriale, structurée par des ancrages urbains, périurbains et diasporiques. Cette configuration interne confère à Sonko une légitimité issue de la base, dont la portée dépasse les frontières nationales en raison de la forte densité transnationale des communautés sénégalaises, transformant un phénomène interne en dynamique géopolitique élargie.
À l’échelle régionale, Sonko devient un acteur de rupture dans les géostratégies ouest-africaines. Son discours sur la souveraineté monétaire remet en cause un pilier majeur de l’architecture de puissance française en Afrique de l’Ouest : l’arrimage monétaire du franc CFA à l’euro. En contestant la lenteur du processus de transition vers l’ECO et en appelant à une réelle autonomie financière, Sonko s’inscrit dans une logique de repositionnement stratégique du Sénégal. Par effet de ricochet, il introduit une nouvelle variable dans la rivalité d’influence entre puissances extérieures – France, États-Unis, Chine, Turquie, Russie – qui se livrent une bataille d’ancrage dans l’espace ouest-africain. L’émergence d’un leadership sénégalais porteur d’un agenda souverainiste renforce les incertitudes dans un espace déjà fragilisé par les reconfigurations du Sahel et la crise de la CEDEAO.
Sur le plan géostratégique continental, Sonko incarne une figure de la « puissance narrative » africaine. Contrairement aux régimes issus de coups d’État au Sahel, il propose une transformation par les urnes tout en adoptant un discours de rupture vis-à-vis des dépendances structurelles. Cette singularité lui confère un poids géopolitique particulier : il apparaît comme une alternative crédible à la bipolarisation actuelle du continent entre modèles militaires souverainistes et modèles libéraux traditionnels. Cette capacité à incarner un troisième paradigme renforce sa valeur stratégique pour les populations africaines, mais aussi pour les acteurs étatiques cherchant des partenaires dans une Afrique en recomposition.
Dans le système international global, la présence de Sonko parmi les « maîtres du monde » reflète la mutation profonde de la notion de puissance. L’influence ne découle plus uniquement de la force matérielle ou du poids institutionnel, mais de la capacité à structurer un récit qui résonne dans un espace médiatisé mondialement. L’image de Sonko a circulé sur les réseaux internationaux comme symbole de résistance, de mobilisation et de rééquilibrage post-colonial. À travers lui, c’est un modèle africain d’affirmation souveraine, fondé sur la légitimité démocratique et la contestation des asymétries historiques, qui s’invite dans la compétition globale pour le contrôle des imaginaires politiques.
Cette visibilité géopolitique soulève toutefois des implications stratégiques. Pour les puissances extérieures, l’émergence d’un leadership sénégalais souverainiste impose une révision des stratégies d’influence en Afrique de l’Ouest. Pour les institutions multilatérales, elle annonce une diversification des voix africaines exigeant des partenariats plus équitables. Pour l’Afrique elle-même, elle démontre que la puissance peut désormais émerger non seulement par les États numériquement puissants, mais aussi par des figures capables de structurer un horizon politique transnational.
Dr Seydou Kanté
Docteur en géopolitique et géographie politique, chercheur et auteur
Diplomate, Consultant international à l’UNESCO
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