Il y a des hommes qui entrent dans l’Histoire comme on entre dans une mosquée,
sans bruit, sans tapage, mais avec un souffle qui bouleverse les murs.
Cheikh Ahmadou Bamba est de ceux-là.
Il n’a pas renversé des empires, il a déplacé les âmes.
Il n’a pas fait trembler les sabres, il a fait plier le mal par la lumière.
Quand les colons ont cru l’exiler, ils ont, sans le savoir, gravé son nom dans l’éternité.
Ils l’ont enchaîné, il a souri. Ils l’ont isolé, il a écrit.
Ils l’ont envoyé au Gabon, pensant l’éteindre.
Mais c’est là-bas que son feu est devenu flamme éternelle.
Car Cheikh Ahmadou Bamba n’était pas fait pour régner, il était fait pour rappeler.
Rappeler que la vraie grandeur est dans la soumission à Allah SWT seul.
Rappeler que l’endurance est un miracle plus puissant que la colère.
Rappeler que l’élévation naît dans l’abandon total, et que l’épreuve peut être le lieu où Allah SWT dépose Sa signature.
Il n’a jamais crié.
Et pourtant, son silence fait encore trembler les murs de l’histoire.
Cheikh Ahmadou Bamba n’était ni roi ni guerrier, il était serviteur.
Et c’est par cette soumission totale à Allah SWT qu’il a conquis les cœurs, inversé le destin, transfiguré l’exil en offrande.
On l’a exilé pour l’éloigner.
Il en a fait une retraite sacrée.
On l’a enchaîné pour le faire taire.
Il a répondu par des poèmes de feu, dictés au vent, portés par les anges.
Et lorsqu’il revint, il n’était pas seul :
Il portait en lui Touba,
cité invisible devenue ville sainte,
havre pour tous ceux qui marchent vers Dieu sans plier devant les hommes.
Et c’est pour cela qu’il dit, simplement, comme une prière qui ne réclame rien : » Sant lé lène ma sama Borom, fou waye nék, guinar ba ci guelem – Où que vous soyez, joignez-vous à moi pour rendre grâce à mon Seigneur.
Qu’il s’agisse d’un simple poulet ou d’un chameau, l’important n’est ni dans la quantité, ni dans l’apparat mais dans la sincérité du geste. Rien n’est trop peu. Rien n’est excessif, si c’est offert avec le cœur ».
C’est ainsi que naquit le Magal.
Pas un jour de démonstration.
Un jour de gratitude nue.
Ainsi, chaque 18 Safar, Touba respire autrement. La ville se dilate comme une poitrine en prière. Des millions de pas y convergent, comme si chaque route savait où elle doit mourir : aux pieds de la Grande Mosquée.
Le Magal, c’est un merci qui déborde. Ce n’est pas un merci poli, c’est un merci qui se mange, qui se boit, qui s’entend dans le roulis des khassaïdes.
On ne vient pas à Touba par simple piété. On y vient par amour.
Amour pour celui qui a marché sans haine. Amour pour Allah SWT, à travers l’exemple d’un homme qui a tout remis entre Ses mains.
Le Magal du Cheikh, c’est notre Thanksgiving, mais avec la cadence des tambours de l’âme. On ne remercie pas Allah SWT pour des greniers pleins, mais pour des cœurs capables de donner jusqu’au dernier grain. On ne célèbre pas une moisson, mais l’endurance d’un homme et l’héritage de sa foi.
Et dans chaque marmite qui fume, dans chaque bol tendu à un inconnu, dans chaque khassaïde récité jusqu’à la nuit, il y a ce même merci qui roule depuis 1895, merci pour l’épreuve qui nous a faits plus forts. C’est un merci pour un exil qui n’a pas brisé l’homme mais l’a élevé. Un merci pour l’endurance d’un saint qui, enchaîné sur un bateau, portait déjà la clé invisible qui libère. Ce jour-là, on ne pleure pas l’injustice, on célèbre la force de l’avoir transcendée.
Le Magal du Cheikh, c’est des familles qui ouvrent leurs maisons comme on ouvre le Coran, avec respect et ferveur. Les enfants courent entre les convives, le parfum du café se mêle à celui du diar, et l’air est saturé de voix. Des voix qui invoquent, qui chantent, qui murmurent l’histoire d’un homme qui a répondu à l’exil par la prière et à la contrainte par la lumière.
Chaque 18 Safar, nous répondons à cet appel.
Touba devient une mer.
Les routes y convergent comme les veines vers le cœur.
Les khassaïdes montent dans le ciel comme des incantations anciennes.
Les maisons débordent de marmites et d’amour.
Les hôtes supplient les passants de manger.
Et dans chaque plat, chaque bol tendu, chaque regard offert,
il y a ce geste d’obéissance qui dépasse les mots
Merci.
Mais aujourd’hui, parfois,
l’Essence se perd dans l’apparat.
La ferveur devient spectacle.
Le service devient vitrine.
Et l’on oublie que le Cheikh n’a jamais demandé l’excès, il a demandé la foi.
Il n’a pas demandé qu’on s’habille en or,
mais qu’on s’enveloppe d’humilité.
Le Magal n’est pas une foire.
C’est un retour.
Un rappel à l’ordre intérieur.
Un moment pour poser les mains sur le cœur et se demander : À quoi rends-tu grâce, vraiment ?
Est-ce pour être vu, ou pour te souvenir ?
Le Magal du Cheikh, ce n’est pas ce que l’on montre. C’est ce que l’on élève.
Un bol de riz partagé dans le silence peut valoir plus qu’un festin exposé.
Une prière sincère dans une ruelle peut valoir plus qu’un discours amplifié.
Parce que le Magal, c’est un état d’âme, pas une performance.
Ce n’est pas notre abondance que nous célébrons.
C’est Sa Miséricorde.
Ce n’est pas notre réussite que nous affichons.
C’est notre vulnérabilité offerte à Dieu, lavée par l’exemple du Cheikh.
Alors oui, offrons.
Mais sans arrogance.
Marchons.
Mais sans oublier pourquoi.
Chantons.
Mais que nos cœurs chantent aussi.
Et toi, qui lis ces lignes…
Ne te laisse pas distraire par les lumières qui ne brûlent pas.
Reviens à la braise intérieure.
Reviens à Bamba.
Reviens à Allah SWT.
Le Magal n’est pas une obligation.
C’est une invitation.
À purifier le sens.
À désencombrer l’intention.
À célébrer la Victoire de la Foi, celle qui, même exilée, reste libre.
Et quand le soir tombera sur Touba,
que les marmites seront vides et les voix fatiguées,
si ton cœur, lui, est encore plein de gratitude,
alors tu auras vraiment célébré.
Le Magal du Cheikh, c’est la tendresse.
C’est la pudeur.
C’est la paix.
Pas l’excès.
Pas l’orgueil.
Pas l’indécence.
Un poulet, un chameau, ou juste une larme.
Mais qu’elle soit vraie.
Qu’elle soit pour Lui.
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