Par Abdoulaye Dieng, entrepreneur
« La souveraineté, c’est un mot creux si vous n’en avez pas les moyens. » En une phrase limpide, Tidjane Thiam, président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et figure de l’opposition ivoirienne, a résumé le dilemme fondamental de nombreux États africains : comment se dire souverain quand on ne maîtrise ni ses ressources, ni sa sécurité, ni sa capacité à produire ou à soigner ?
Car dans les faits, trop de pays africains demeurent structurellement dépendants : des bailleurs de fonds, des multinationales, des importations alimentaires et pharmaceutiques, ou encore de forces militaires étrangères. La souveraineté véritable ne repose pas sur des symboles, mais sur une capacité effective à exercer pleinement les fonctions régaliennes de l’État. Sans moyens, l’indépendance devient une illusion.
Mais les lignes bougent. Un vent de rupture souffle aujourd’hui sur une partie du continent. Le Sénégal, à travers l’alternance démocratique historique du 24 mars 2024, s’est engagé dans une trajectoire de reconquête souverainiste assumée. Le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko placent la souveraineté réelle – économique, budgétaire, institutionnelle – au cœur de leur projet de gouvernance.
Le cap est clair : assainissement des finances publiques, mobilisation des ressources internes, transformation locale des richesses, investissements dans les secteurs stratégiques (énergie, agriculture, éducation, santé), renégociation des contrats léonins et restauration de l’autorité de l’État. Le tout inscrit dans la Vision Sénégal 2050, lancée avec rigueur et volontarisme.
Mais cette belle vision, capable sans ambiguïté d’amorcer notre souveraineté réelle, semble aujourd’hui fragilisée par un déficit croissant de communication stratégique et un abandon progressif de la mobilisation populaire. Or, sans l’adhésion active des citoyens, sans des programmes d’éducation civique clairs et participatifs, la souveraineté ne peut prendre racine ni produire ses effets. Il ne suffit pas d’avoir une vision lucide ; il faut aussi construire un récit collectif, alimenter l’engagement, organiser la participation. Sinon, la rupture reste technocratique, désincarnée.
Le Sénégal ne fait pas cavalier seul. D’autres pays africains, avec des approches variées, suivent des logiques souverainistes similaires :
- Le Rwanda renforce son autonomie en réduisant sa dépendance à l’aide internationale, tout en investissant massivement dans l’innovation, la santé et l’éducation.
- L’Éthiopie affirme son indépendance énergétique avec le barrage de la Renaissance, malgré les pressions régionales et internationales.
- Le bloc AES (Mali, Burkina Faso, Niger) engage une rupture politique, sécuritaire et monétaire avec les anciennes puissances tutélaires.
- La Guinée exige la transformation locale de ses ressources minières au bénéfice de l’économie nationale.
- Et l’Érythrée, dans une position radicale, rejette toute ingérence extérieure depuis des décennies.
Ces trajectoires témoignent d’un basculement historique : l’Afrique entre dans l’ère de la souveraineté stratégique. Mais pour que ce réveil ne reste qu’un frémissement, il faut poser les bases solides d’une transformation durable.
Cinq ruptures sont incontournables :
- Rupture budgétaire : Mobiliser nos ressources internes et rompre avec la dépendance aux financements conditionnés.
- Rupture productive : Produire localement, transformer sur place, viser l’autosuffisance alimentaire et énergétique.
- Rupture éducative : Former des bâtisseurs et des innovateurs, pas seulement des diplômés en quête d’emploi public.
- Rupture institutionnelle : Refonder l’État pour qu’il serve enfin les citoyens, et non les intérêts extérieurs ou clientélistes.
- Rupture géopolitique : Redéfinir nos alliances, prioriser les intérêts africains, miser sur la coopération régionale et sud-sud.
La souveraineté n’est ni un slogan nationaliste ni un réflexe de rejet. C’est une capacité concrète à gouverner, produire, négocier et protéger selon ses propres règles. Cela suppose une volonté politique forte, mais aussi une mobilisation collective durable.
Le Sénégal a ouvert la voie. À l’Afrique maintenant de transformer cette dynamique en projet continental. Il ne s’agit plus de proclamer notre souveraineté, mais de la vivre. Pleinement, lucidement, collectivement.
Deweneti.