L’administration publique sénégalaise, pilier de l’État de droit et instrument essentiel de la mise en œuvre des politiques publiques, traverse une crise de confiance et d’efficacité.
Les dysfonctionnements observés, notamment la porosité alarmante des informations confidentielles et la divulgation systématique des actes administratifs avant leur officialisation, posent la question urgente de sa viabilité et de sa capacité à garantir la sécurité nationale et la bonne gouvernance.
Ces failles systémiques, qui ébranlent l’autorité de l’État et nuisent à sa crédibilité diplomatique, rendent indispensable une refondation profonde.
Problématique : Dans quelle mesure les manquements graves aux principes de discrétion, de loyauté et de professionnalisme au sein de l’administration sénégalaise justifient-ils une réforme structurelle immédiate, et comment cette refondation peut-elle s’appuyer sur le cadre juridique existant et l’exemple de figures tutélaires pour restaurer l’éthique du service public ?
Pour répondre à cette problématique, il conviendra d’analyser, dans une première partie, l’urgence de cette refondation en exposant les symptômes et les conséquences des dysfonctionnements actuels. Dans une seconde partie, nous identifierons les leviers politiques et éthiques de cette réforme, notamment l’exemple des figures tutélaires. Enfin, une troisième partie proposera des solutions concrètes basées sur l’application et le renforcement du cadre juridique existant.
I. L’URGENCE D’UNE REFONDATION : SYMPTÔMES ET CONSÉQUENCES DES DYSFONCTIONNEMENTS
A. Une porosité systémique et inacceptable des informations confidentielles
Le premier symptôme de la crise administrative sénégalaise réside dans la violation généralisée du devoir de réserve et de secret professionnel (Article 27 du Statut général des fonctionnaires). Le phénomène a dépassé le stade de l’incident isolé pour devenir une pratique courante, révélant une déliquescence du sens de l’État.
Tous les actes administratifs, des correspondances internes aux projets de décrets, sont désormais exposés sur les réseaux sociaux avant leur officialisation.
Plus grave encore, les mesures d’ordre intérieur, les directives stratégiques et les décisions administratives majeures sont divulguées avant même d’être signées ou notifiées officiellement.
Cette situation crée une rupture du lien de confiance et une désorganisation totale de l’action publique. Les destinataires et ayants droit de ces décisions apprennent, de manière informelle, les nouvelles les concernant dans les médias ou dans la rue, avant toute notification officielle, portant atteinte au principe de sécurité juridique et à la dignité des personnes concernées.
B. Les conséquences juridiques et diplomatiques de la diplomatie « dans la rue »
Cette porosité a des conséquences désastreuses sur la conduite des affaires publiques. L’exemple concret des échanges diplomatiques autour de l’accueil de l’ancien président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embaló est édifiant.
Le fait que des tractations confidentielles, impliquant des chefs d’État et des médiateurs régionaux, soient racontées sur la place publique est une atteinte inacceptable aux règles élémentaires de la diplomatie secrète et de la sécurité des personnes impliquées.
Sur le plan interne : La fuite d’informations mine l’autorité de l’État et peut permettre à des intérêts contraires de s’organiser en amont des actions gouvernementales.
Sur le plan international : La crédibilité diplomatique du Sénégal est entamée. Les partenaires internationaux peuvent légitimement douter de la capacité de l’administration sénégalaise à garantir la confidentialité des échanges, sapant ainsi les processus de médiation et de coopération.
Ces manquements justifient pleinement l’urgence d’une refondation structurelle de l’appareil d’État.
II. LES LEVIERS POLITIQUES ET ÉTHIQUES DE LA REFONDATION
La refondation de l’administration publique, initiée par les nouvelles autorités, doit s’appuyer sur des mesures concrètes et s’inspirer des figures tutélaires de l’État sénégalais.
A. L’affirmation des piliers de la réforme : méritocratie, sécurité numérique et responsabilisation
La réforme doit s’articuler autour de plusieurs axes majeurs pour colmater les brèches identifiées :
Restauration de la Méritocratie et Dépolitisation : Il est crucial de mettre fin au clientélisme et aux recrutements abusifs. Une administration professionnelle, où le recrutement et l’avancement reposent sur la compétence et l’éthique (le « Jub, Jubal, Jubanti »), est la première ligne de défense contre les fuites et la corruption.
Sécurisation et Modernisation Numérique : La digitalisation des services doit être accompagnée d’une cybersécurité robuste pour garantir la sécurité de l’information.
Renforcement de l’Éthique, de la Discipline et Sanctions : La réforme vise à restaurer le sens du devoir et de la discrétion professionnelle. La mise en place de mécanismes permettant d’identifier et de sanctionner sévèrement les auteurs de ces manquements graves est essentielle pour restaurer la discipline au sein de la fonction publique.
B. L’exemple des figures tutélaires : Bruno Diatta, Djibo Leïty Ka, Ousmane Tanor Dieng et Abdoulaye Daouda Diallo
La refondation ne peut se faire sans modèles. Les fonctionnaires et autorités administratives actuelles doivent s’inspirer de figures historiques qui incarnaient le sens de l’État :
Bruno Diatta : « Le gardien discret des secrets d’État », reconnu pour sa discrétion absolue et son professionnalisme au-delà des régimes.
Djibo Leïty Ka, Ousmane Tanor Dieng, Abdoulaye Daouda Diallo : Des exemples d’expertise, de loyauté et de gestion rigoureuse, ayant servi l’État avec dévouement dans des fonctions stratégiques.
Ces hommes rappellent que la fonction publique repose sur l’intégrité et un sens élevé du devoir.
III. PROPOSITIONS DE SOLUTIONS : UN CADRE JURIDIQUE EXISTANT À APPLIQUER ET À RENFORCER
La refondation ne nécessite pas uniquement l’invention de nouvelles lois, mais surtout l’application rigoureuse et la valorisation des textes existants, enrichis par les principes fondamentaux du droit administratif et de la jurisprudence.
A. L’application rigoureuse du Statut général des fonctionnaires et du Code général de l’administration
Le Statut général des fonctionnaires et le récent Code général de l’administration (CGA) fournissent un arsenal juridique suffisant :
Le Devoir de Discrétion Professionnelle et de Réserve : L’Article 27 du Statut général des fonctionnaires astreint tout fonctionnaire au secret professionnel et à la discrétion. La solution réside dans la systématisation des enquêtes administratives en cas de fuite et l’application de sanctions disciplinaires exemplaires prévues par le Statut.
Le Principe de Loyauté et d’Obéissance Hiérarchique : Le droit administratif impose un devoir de loyauté indéfectible envers l’État. Les autorités hiérarchiques doivent user de leur pouvoir pour exiger le respect strict des canaux de communication officiels.
B. L’exploitation des principes du Droit administratif et des Jurisprudences
Au-delà des textes statutaires, les principes généraux du droit administratif sénégalais, consacrés par la jurisprudence de la Cour suprême, offrent des leviers d’action :
Le Principe de Continuité du Service Public et de Sécurité Juridique : La divulgation prématurée d’actes administratifs nuit gravement à la continuité et à la sécurité juridique.
L’administration doit internaliser la nécessité des délais de notification pour préserver la validité de ses actes.
La Responsabilité de l’Administration et de ses Agents : Le droit prévoit la responsabilité personnelle de l’agent en cas de faute personnelle détachable du service (faute lourde, intentionnelle).
Les fuites intentionnelles relèvent clairement de la faute personnelle, exposant l’agent à des poursuites pénales (violation du secret professionnel, article 361 du Code pénal) et civiles.
C. L’innovation par la Technologie et la Formation
Enfin, la solution réside dans l’utilisation proactive des outils modernes :
Sécurisation Numérique : L’investissement dans des systèmes d’information sécurisés et chiffrés pour les communications gouvernementales est une nécessité technique.
Formation et Sensibilisation : Des sessions de formation continue sur l’éthique de la fonction publique, le droit administratif et les enjeux de cybersécurité doivent être généralisées.
La refondation de l’administration publique au Sénégal est une initiative vitale qui répond à une urgence sécuritaire, éthique et de gouvernance.
Face à la porosité généralisée des informations et à la « diplomatie de la rue », il est impératif de restaurer la discipline, la méritocratie et le sens de l’État.
En s’appuyant sur l’arsenal juridique existant – Statut général des fonctionnaires, Code général de l’administration, droit administratif et en s’inspirant des figures tutélaires de la République, le Sénégal peut espérer restaurer la confiance publique, garantir sa crédibilité diplomatique et assurer la sécurité de la nation face aux défis contemporains.
La volonté politique affichée doit désormais se traduire par une application rigoureuse de la loi pour faire de l’administration sénégalaise un instrument efficace et respecté de la souveraineté nationale.
Président Diaraf SOW, Juriste Consultant
Maître en Administration publique
Diplômé d’un Master 2 en Gouvernance Internationale
Doctorant en Sciences Politiques
Président national du parti ADAE/J
