Déférés ce mardi par la Division spéciale de cybersécurité, Assane Guèye alias « Azoura Fall » et Elhadji Ousseynou Kaïré ont été placés sous mandat de dépôt pour discours contraires aux bonnes mœurs. Ils seront jugés demain jeudi en flagrant délit.
Dans la tribune ci-dessous, le juriste e Ibrahima Khalil Diassé nous fait une étude approfondie du cas Azoura Fall.
« L’inculpation de Azoura Fall, militant du parti PASTEF aujourd’hui au pouvoir, pour injures publiques, suscite des réactions contrastées au sein de l’opinion. Certains estiment que son état mental, fragilisé par une détention antérieure sous le régime de l’ex-président Macky Sall, aurait dû être pris en compte avant toute poursuite judiciaire. D’autres rappellent qu’en vertu du principe d’égalité devant la loi, toute infraction doit être réprimée, quel que soit le statut politique de son auteur. Cette affaire pose donc une question de fond : sommes-nous encore dans un État de droit, ou glissons-nous dans une logique de fanatisme politique où l’appartenance partisane justifierait tout ?
L’infraction d’injures publiques est bel et bien prévue par le Code pénal sénégalais, notamment en son article 258, qui en punit l’auteur lorsqu’elle est commise de manière publique. La loi ne distingue pas selon les convictions politiques ou le passé judiciaire de l’accusé. Ce qui importe, ce sont les faits et leur caractère délictuel. Le fait que Azoura Fall soit un membre d’un parti actuellement au pouvoir ne doit ni l’exempter des rigueurs de la loi, ni lui valoir un traitement d’exception. Au contraire, sa poursuite pourrait illustrer une volonté d’indépendance de la justice, qui ne cède ni à la pression partisane ni aux considérations opportunistes.
Cependant, l’argument de la santé mentale mérite aussi attention. Si, comme certains le soutiennent, Azoura Fall souffre de troubles psychologiques liés à sa détention passée, cela pourrait potentiellement relever de l’article 47 du Code pénal, qui exonère de responsabilité pénale une personne ayant agi sous l’effet d’une démence avérée. Mais cette question ne peut être tranchée par les réseaux sociaux ni par les sympathisants politiques : seul un juge, sur la base d’une expertise médicale, peut constater une telle incapacité. En d’autres termes, ce n’est pas à l’opinion publique de trancher la question de la responsabilité pénale ou mentale de M. Fall, mais à sa défense d’en apporter la preuve dans le cadre légal.
Ce qui est préoccupant dans ce dossier, c’est la manière dont certains veulent transformer un processus judiciaire en affrontement politique. Défendre ou attaquer Azoura Fall non pas en fonction de la loi, mais selon son appartenance à PASTEF, c’est céder à une forme de fanatisme qui mine l’État de droit. La vraie justice, celle que réclamaient les opposants d’hier et que les citoyens espèrent aujourd’hui, ne consiste pas à protéger ses alliés et punir ses ennemis. Elle exige la même rigueur, la même impartialité, et les mêmes garanties pour tous.
L’État de droit ne se mesure pas à la clémence envers ses partisans, mais à sa capacité à faire appliquer la loi équitablement, même quand cela dérange. Si les propos de Azoura Fall sont constitutifs d’une infraction, il est normal qu’il réponde de ses actes devant la justice. Et si des éléments sérieux indiquent une altération de son discernement, il revient à ses avocats de le démontrer selon les voies prévues. C’est à ce prix que la démocratie sénégalaise pourra se distinguer durablement d’un passé où la justice était souvent perçue comme un instrument politique.
Ibrahima Khalil Diassé »