Bassirou NDIAYE Economiste/Expert en planification stratégique et développement des entreprises
Doctorant au Laboratoire d’Analyse des Politiques de Développement (LAPD)
Contexte:
Le Sénégal vient d’adopter un nouveau Code des investissements en 2025, près de vingt ans après celui de 2004. Ce texte marque une étape importante dans la volonté des autorités d’adapter l’environnement des affaires aux mutations économiques et aux priorités nationales, notamment l’Agenda National de Transformation (ANT). Alors
que le Code de 2004 avait contribué à stimuler les investissements et à attirer de nouveaux acteurs, il avait aussi montré des limites en matière de diversification, d’inclusion des PME locales et de transformation structurelle de l’économie. Le
nouveau dispositif ambitionne d’aller plus loin, en intégrant des incitations plus ciblées et en misant sur l’innovation, la durabilité et la montée en valeur ajoutée. Cet article propose une lecture comparative et identifie les niches stratégiques que les
entreprises sénégalaises doivent impérativement anticiper.
1. Le Code de 2004 : une base mais des limites structurelles.
Adopté en février 2004, le Code des investissements avait pour objectif principal d’attirer les capitaux, notamment étrangers, afin de dynamiser la croissance. Il reposait sur des incitations fiscales classiques : exonérations d’impôt sur les bénéfices
pendant cinq ans, réduction de la taxe foncière et de la TVA sur les équipements importés, ainsi que des régimes particuliers pour les projets dépassant certains seuils financiers.
Ce cadre a permis des résultats notables. Entre 2005 et 2010, environ 1 250 nouvelles entreprises ont vu le jour, représentant un investissement global de plus de 1 600 milliards FCFA. Les secteurs agricole et industriel ont concentré près des deux tiers de
ces investissements (65%), tandis que les services sont restés en marge avec seulement 12% (APIX, 2011). Ces initiatives ont généré environ 32 000 emplois directs, avec une croissance moyenne du PIB de 4,2 % sur la période (BCEAO, 2012).
Toutefois, les limites du Code étaient manifestes : pertes fiscales annuelles estimées à plus de 45 milliards FCFA, dépendance accrue aux investissements étrangers (15 % du PIB), balance commerciale déficitaire à -120 milliards FCFA (BCEAO, 2012), concentration sectorielle, et faible impact sur la transformation structurelle du tissu
productif. Les entreprises locales avaient des difficultés à tirer pleinement parti des avantages offerts, faute de capacités financières et techniques suffisantes.
2. II. Le Code de 2025 : une approche intégrée et alignée à l’Agenda National de Transformation
Le nouveau Code des investissements, adopté le 18 septembre 2025, marque une rupture nette avec l’approche du Code de 2004. Conçu dans un contexte de profondes mutations économiques, sociales et environnementales, il se veut plus ambitieux et plus stratégique. Son objectif dépasse la simple attraction de capitaux : il s’agit désormais de transformer la structure de l’économie sénégalaise en favorisant
des secteurs porteurs, l’innovation technologique et la durabilité.
Ce Code s’inscrit pleinement dans l’Agenda National de Transformation (ANT), qui fixe comme priorités la modernisation de l’appareil productif, la diversification des activités économiques, l’intégration des nouvelles technologies et la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Contrairement à l’ancien dispositif, qui
misait essentiellement sur des incitations fiscales classiques, ce Code met en avant des
mécanismes beaucoup plus ciblés et incitatifs.
Parmi les innovations majeures, on peut relever :
– Crédits d’impôt pour la recherche et développement (R&D) et pour la formation : les entreprises qui investissent dans ces secteurs bénéficient désormais d’une exonération fiscale et les projets supérieurs à 1 milliard FCFA peuvent prétendre à un crédit d’impôt de 20 % sur les dépenses en formation et R&D. Cette mesure vise à encourager non seulement la productivité mais aussi l’émergence d’un capital humain qualifié, condition essentielle pour faire face à la concurrence régionale et mondiale ;
– Bonus sectoriels pour les technologies vertes, le numérique et les énergies renouvelables : au-delà des avantages généraux, des incitations supplémentaires sont accordées aux projets dans les secteurs considérés comme stratégiques pour l’avenir. Il s’agit d’orienter les investissements vers des domaines où le Sénégal veut bâtir une compétitivité durable : transition énergétique, digitalisation, économie verte ;
– Réduction de 70 % des taxes locales dans les zones industrielles stratégiques : cet avantage vise à renforcer l’attractivité des pôles économiques territoriaux et à désengorger Dakar. Il offre une opportunité inédite pour les entreprises locales qui souhaitent s’implanter ou étendre leurs activités dans les régions ;
– Intégration des dimensions sociales et environnementales : le Code ne se limite pas à l’aspect financier. Des incitations spécifiques sont prévues pour les entreprises qui créent des emplois formels, respectent les normes environnementales et contribuent au développement durable. Ce lien entre
investissement et responsabilité sociale constitue une avancée majeure.
Les projections officielles de 2025 à 2030 confirment l’ambition de ce nouveau cadre.
D’ici 2030, plus de 2 100 nouvelles entreprises pourraient voir le jour, représentant un investissement cumulé de près de 2 750 milliards FCFA (APIX, 2025). L’impact sur l’emploi serait significatif, avec 45 000 à 50 000 postes directs attendus, accompagnés
d’une montée en compétences et d’une meilleure rémunération moyenne. Sur le plan sectoriel, la part des investissements dans le numérique, l’énergie et l’agro-industrie pourrait passer de moins de 10 % sous le Code de 2004 à près de 30 % sous le
nouveau dispositif.
En résumé, le Code de 2025 se distingue par une philosophie claire : attirer les capitaux certes, mais surtout les orienter vers les secteurs stratégiques qui garantiront la compétitivité et la résilience de l’économie sénégalaise.
3. III. Comparaison 2004 – 2025 : un changement de paradigme
La comparaison entre le Code de 2004 et celui de 2025 met en évidence une véritable évolution de philosophie économique. On ne se situe plus simplement dans la logique d’attirer des investisseurs par des avantages fiscaux classiques, mais dans une stratégie beaucoup plus fine qui cherche à transformer durablement le tissu productif et à repositionner le Sénégal dans la compétition régionale et internationale avec la prise en compte des Petites et Moyennes Entreprises (PME), l’une des plus grandes innovations de Code.
– Durée et intensité des incitations : le Code de 2004 prévoyait principalement des exonérations fiscales limitées à cinq ans, avec quelques allongements
possibles pour les entreprises créant beaucoup d’emplois en dehors de Dakar.
Le Code de 2025 élargit ce champ avec des exonérations fiscales pouvant aller jusqu’à huit ans, tout en ajoutant des crédits d’impôt ciblés sur des postes stratégiques comme la recherche, la formation et l’innovation. Autrement dit, on passe d’un régime généraliste à un régime sélectif et incitatif, conçu pour récompenser l’investissement productif et qualitatif ;
– Nature des secteurs prioritaires : en 2004, les priorités étaient claires mais limitées : agriculture, industrie, tourisme, énergie classique, infrastructures. Ces secteurs avaient certes un potentiel de croissance, mais laissent peu de place à l’innovation et à l’économie de la connaissance. En 2025, le changement est radical : les secteurs moteurs identifiés sont l’innovation technologique, le
numérique, les énergies renouvelables, la santé et les industries créatives. Le Code traduit donc une volonté d’inscrire le Sénégal dans les chaînes de valeur mondiales et dans les secteurs d’avenir ;
– Orientation vers la qualité plutôt que le volume : le Code de 2004 cherchait avant tout à augmenter le nombre d’entreprises et le volume d’investissements,
sans toujours garantir un effet durable sur la productivité nationale. Cela a conduit à une croissance quantitative mais parfois peu qualitative, avec un impact limité sur la transformation structurelle. À l’inverse, le Code de 2025 met la barre plus haut : il ne s’agit pas seulement de créer des entreprises, mais d’améliorer leur productivité, de renforcer la valeur ajoutée locale et de développer la compétitivité. Par exemple, les crédits d’impôt pour la R&D et la formation sont directement liés à l’objectif de montée en gamme.
– Prise en compte des PME locales : sous le Code de 2004, les incitations bénéficiaient surtout aux grandes entreprises et aux investisseurs étrangers,
capables de mobiliser rapidement des capitaux supérieurs au seuil exigé.
Beaucoup de PME sénégalaises restaient en marge de ces dispositifs. Le Code de 2025 introduit une dimension plus inclusive avec la prise en compte de ces entreprises qui constituent l’épine dorsale de notre tissu économique avec une représentation de 99, 8% (ADEPME, 2025). C’est une manière d’intégrer le tissu entrepreneurial national (contenu local) dans la dynamique de croissance, plutôt que de le laisser en périphérie.
En somme, le passage du Code de 2004 au Code de 2025 traduit une volonté claire : aller au-delà des simples exonérations fiscales pour bâtir un environnement propice à la transformation structurelle de l’économie. Le premier Code avait pour ambition de « faire venir l’investissement » ; le second cherche à « orienter l’investissement » vers les secteurs stratégiques, à stimuler l’innovation et à renforcer l’ancrage local. C’est une véritable bascule, d’une logique de quantité à une logique de qualité et de durabilité.
4. IV. Niches stratégiques pour les entreprises sénégalaises
Le Code des investissements de 2025 ne se limite pas à attirer des capitaux étrangers. Il ouvre surtout des espaces d’opportunités que les entreprises sénégalaises doivent anticiper et occuper pour ne pas rester spectatrices. Ces niches couvrent des secteurs stratégiques qui répondent à des besoins économiques internes, tout en s’inscrivant dans les dynamiques régionales et mondiales.
– Agriculture et Agro-alimentaire : Avec une contribution de 17,34 % au PIB et près de 37 % des emplois (APIX, 2025), l’agriculture demeure un pilier essentiel de l’économie nationale et un levier pour atteindre la souveraineté alimentaire tant promue dans la Vision 2050. Les perspectives sont considérables dans les filières de l’arachide et des oléagineux, des céréales locales, de l’horticulture, de la pêche et de l’aquaculture ainsi que de l’aviculture. La transformation locale de ces produits constitue une opportunité majeure pour les entreprises
sénégalaises de se positionner comme des champions régionaux de l’agro-industrie.
– Économie numérique et innovation : Le secteur numérique est aujourd’hui l’un des moteurs les plus dynamiques de l’économie sénégalaise. Il représente
environ 10 % du PIB en 2024, et l’objectif est d’atteindre 20 % d’ici 2034 (APIX, 2025). Grâce à ses faibles barrières à l’entrée comparées à l’industrie lourde, ce secteur offre aux jeunes entrepreneurs et aux PME des opportunités exceptionnelles dans la fintech, l’e-commerce, la cybersécurité, la R&D et les
solutions digitales adaptées aux besoins locaux et régionaux.
– Transition énergétique : Le Sénégal s’est engagé dans une dynamique de transition énergétique ambitieuse. En 2023, le taux d’accès à l’électricité
atteignait 84,3 % (dont 65,6 % en zones rurales), et la capacité installée était de 1 789 MW avec un objectif de 2 200 MW d’ici 2034. Les énergies renouvelables représentent déjà 27,4 % du mix énergétique, avec un objectif de 40 % en 2030 (APIX,2025). Cette trajectoire ouvre des perspectives importantes pour les entreprises locales, en particulier les PME, qui peuvent se positionner sur le solaire, l’éolien, la biomasse et les mini-réseaux électriques destinés aux zones rurales. Par ailleurs, les besoins en services liés au pétrole et au gaz (logistique, maintenance, ingénierie) offrent aux entreprises sénégalaises l’opportunité de s’intégrer dans une chaîne de valeur dominée jusqu’ici par les multinationales.
– Tourisme et Industries Culturelles et Créatives (ICC) : Avec plus de 700 km de côtes, un patrimoine culturel et artistique exceptionnel, et des sites
emblématiques tels que l’île de Gorée ou Saint-Louis classées au patrimoine mondial de l’UNESCO, le Sénégal dispose d’un potentiel touristique et culturel
immense. La Vision 2050 prévoit de multiplier par cinq à six la valeur ajoutée du secteur. Les opportunités d’investissement sont multiples, alors les entreprises sénégalaises ont donc la possibilité de tirer parti de ces atouts pour renforcer l’image du Sénégal comme destination culturelle et touristique incontournable.
En définitive, ces niches sont bien plus que des opportunités sectorielles : elles représentent un levier stratégique pour renforcer la souveraineté économique du Sénégal, réduire la dépendance extérieure et créer des emplois qualifiés. Mais elles
ne porteront pleinement leurs fruits que si les entreprises sénégalaises parviennent à se positionner rapidement, à innover et à former des alliances stratégiques pour tirer parti des incitations offertes par le Code de 2025.
