Le passage du ministre en charge de l’Énergie devant l’Assemblée nationale est riche d’enseignements.
Le ministre a éludé mes questions pourtant claires et précises sur le nombre exact de villages électrifiés par AEE POWER EPC, en invoquant le fait que le dossier serait pendant devant la justice. Une telle justification peut légitimement être interrogée : la saisine de la justice peut-elle faire obstacle à la communication, devant la Représentation nationale, d’informations objectives, vérifiables et neutres ? Une telle communication ne saurait entraver le déroulement de l’enquête en cours. Ne pas apporter de réponse au Parlement semble, au contraire, contrevenir au principe de séparation des pouvoirs.
Une interrogation demeure, persistante : quelle est l’utilisation exacte des 37 milliards de francs CFA déjà mobilisés ou, à tout le moins, où est la liste d’au moins 600 villages électrifiés qui permettrait d’en attester la bonne affectation ? À défaut d’éléments tangibles, la dissonance apparaît manifeste avec la communication particulièrement insistante de l’ASER qui, à travers des tournées abondamment médiatisées, s’efforce de présenter le projet AEE POWER EPC comme se déroulant sans heurts.
Une enquête rigoureuse nous éclairerait. En attendant, l’ASER, qui, soudainement, a interrompu ses tournées de propagande, et d’autres représentants de l’État seraient en route pour l’Espagne. Dans l’espoir d’obtenir une miraculeuse levée de la suspension des décaissements décidée par les bailleurs espagnols ? Cette mission vise plutôt à embrouiller les esprits par une nouvelle opération de communication.
On se rappelle qu’après la première ordonnance de la Cour suprême, qui rejetait la demande de l’ASER tendant à annuler la décision de l’ARCOP portant suspension du marché confié à AEE POWER, divers services de l’État avaient pris langue avec les bailleurs espagnols. Ils avaient plaidé en vain la levée de la mesure de suspension du financement. Mais, bien qu’aucun infléchissement ne soit advenu dans la position des bailleurs espagnols, l’ASER, appuyée par l’Agent judiciaire de l’État (AJE), a pu obtenir une ordonnance de rétractation de la Cour suprême. Un vrai « miracle » : avoir pu ainsi transformer un échec au sortir des négociations avec les bailleurs espagnols en une victoire judiciaire… qui ne change rien au statu quo, du fait que la suspension du financement demeure.
C’est dans l’espoir de rééditer une telle opération du Saint-Esprit que la mission s’envole pour Madrid.
En revanche seul un esprit malin trouverait à redire sur l’empressement à conduire avec l’inévitable et prochain passage de tous les protagonistes de cette sombre affaire devant la Section de Recherches.
Par ailleurs, le député Adama Diallo (non inscrit), ancien secrétaire général du ministère de l’Énergie et directeur général de Pétrole jusqu’en 2024, a demandé à l’ASER, à travers le ministre Birame Soulèye Diop, de citer un SEUL PROGRAMME d’électrification rurale lancé par l’Agence sous l’actuel régime. La réponse manifeste est : AUCUN.
Le député Djimo Souaré, pour sa part, a fustigé la médiatisation outrancière de la mise en service de villages à travers des programmes d’électrification lancés sous le régime de Macky Sall. Ainsi, l’ASER s’est vantée dernièrement de l’électrification de villages dans la région de Kédougou, en parlant d’« équité régionale corrigée ». Or ces villages ont été électrifiés par le programme GAUFF INTERNATIONAL lancé en 2017.
C’est sans doute pourquoi le ministre a esquivé ces questions.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, absence de réponses factuelles, contradictions entre la communication officielle et la réalité des programmes, incertitudes sur l’utilisation des financements, il apparaît compréhensible, quoique regrettable, que le ministre ait soigneusement évité de répondre de manière précise aux questions posées par la Représentation nationale.
Thierno Alassane Sall
