La sortie d’Alioune Tine appelant à « régler la question de l’éligibilité d’Ousmane Sonko pour 2029 » franchit un seuil révélateur. Elle dévoile non pas une préoccupation démocratique, mais une inquiétante dérive intellectuelle : celle où une figure respectée des droits humains accepte d’arrimer l’avenir institutionnel du pays au destin vacillant d’un leader populiste. Une telle prise de position n’a rien d’anodin. Elle introduit un glissement subtil mais lourd de conséquences, comme si le Sénégal devait suspendre son souffle à l’attente d’une candidature salvatrice.
Le régime PASTEF gouverne dans un contexte d’asphyxie économique. Les finances publiques s’effondrent sous le poids de choix hasardeux. La pauvreté progresse sans discontinuité. L’insécurité alimentaire frappe désormais des zones jadis résilientes. L’investissement productif recule et le chômage des jeunes s’étend. Dans ce paysage saturé d’alertes, un Premier ministre devenu chef politique sans projet transformateur tente de se maintenir grâce à une rhétorique incantatoire. Aucun programme structurant ne jaillit. Aucun chantier national ne s’impose et le pays avance dans l’ombre, sans trajectoire claire. Réduire ce moment historique à la seule question de l’éligibilité d’un homme constitue une faute stratégique autant qu’un contresens démocratique.
Alioune Tine maîtrise pourtant le poids du personnalisme politique et les dévastations que son culte peut provoquer. En liant la stabilité nationale au futur électoral d’Ousmane Sonko, il renforce le piège dans lequel le PASTEF plonge déjà le pays. Le débat glisse alors vers une logique binaire : Sonko ou la paralysie. Cette vision enferme le pays dans une dramaturgie artificielle. Elle fabrique une urgence qui n’existe pas, une menace qui n’a rien d’inéluctable, un destin qui ne dépend heureusement pas d’une seule figure.
Ce récit simplifié efface des réalités plus profondes. Le PASTEF porte une responsabilité directe dans l’immobilisme gouvernemental. Les 20 mois passés à la tête de l’exécutif démontrent une incapacité persistante à transformer les slogans en politiques publiques. Les décisions se succèdent sans méthode. Les priorités changent au gré d’un discours qui favorise l’émotion au détriment de la rationalité. Les résultats sont faibles, parfois inexistants. Le populisme ne bâtit rien ; il déplace la lumière, il maquille les urgences, il étouffe la complexité sous un vernis de certitudes faciles.
La position de Tine passe sous silence une vérité élémentaire : l’État ne peut pas devenir l’otage d’un parti dont l’efficacité s’effrite déjà. La République sénégalaise a survécu à des transitions difficiles parce qu’elle a su préserver une distance salutaire entre la décision publique et les rivalités partisanes. Lier la stabilité institutionnelle à l’avenir judiciaire ou politique d’un leader revient à inverser cette logique. C’est inviter le pays à se soumettre à une dépendance dangereuse. Aucune démocratie sérieuse ne construit sa pérennité sur la singularité d’un homme.
Le pays mérite une perspective plus large. Il mérite un retour à la méthode : capacité d’arbitrage, rigueur budgétaire, pilotage économique lucide, administration stabilisée, institutions respectées. Le discours pastefien ne fournit rien de tout cela. La ferveur populaire demeure, mais l’État vacille sous le poids d’un leadership devenu dépendant de sa propre mise en scène. Un horizon national ne peut pas s’articuler autour d’une figure qui peine déjà à gouverner la crise qu’elle a contribué à amplifier.
La démocratie sénégalaise doit assumer un refus clair du messianisme politique. Les nations qui se renforcent ne placent pas leur avenir dans une personnalité providentielle. Elles misent sur des coalitions solides, des institutions prévisibles, des dirigeants capables de se hisser à la hauteur du moment. L’échéance de 2029 doit s’inscrire dans cette dynamique, non dans une compétition obsessionnelle autour d’un seul nom.
La défense passionnée de Sonko ne protège pas le pays. Elle entretient une polarisation qui affaiblit un État déjà fragilisé par l’improvisation. Elle détourne l’attention d’alternatives crédibles, de projets structurants, et de forces politiques capables de rompre avec l’impasse. Le Sénégal peut et doit se dégager du brouillard populiste. Il doit engager une recomposition profonde : une offre politique qui s’appuie sur la compétence plutôt que l’invective, sur la responsabilité plutôt que la mythologie révolutionnaire, sur le réalisme plutôt que l’héroïsation de l’échec.
La stabilité d’un pays ne repose pas sur une candidature. Elle repose sur la capacité collective à affronter la vérité des chiffres, des risques et des contraintes. Elle repose sur un leadership qui privilégie la République à la loyauté partisane. Elle repose sur des institutions qui refusent de devenir l’appendice d’un destin individuel.
À l’approche de 2029, une évidence s’impose : le populisme pastefien a épuisé son cycle. Il a épuisé son énergie transformatrice avant même qu’elle n’existe. Il a échoué à convaincre par les actes. Il a mis en péril les équilibres budgétaires. Il a remplacé l’État par l’agitation, la planification par l’annonce, la méthode par l’incantation. Le pays ne peut pas se résoudre à perpétuer cette illusion.
Alioune Tine aurait pu défendre la République, il a choisi de défendre un homme. Ce choix engage sa responsabilité intellectuelle et morale. Le Sénégal, lui, doit regarder au-delà. Une alternative existe. Elle prendra racine dans la lucidité des citoyens, la maturité des institutions et la capacité des leaders responsables à reconstruire une direction nationale que le populisme a brouillée.
L’Histoire continue de tracer son chemin. Elle ne s’écrit jamais à la hauteur d’un seul nom. Elle se bâtit sur l’exigence, la méthode et la vision. Le Sénégal entrera dans cette Histoire avec la force d’une alternative solide, débarrassée du mirage pastefien, prête à remettre la République au centre de la marche nationale.
Dr Abdourahmane Ba
Président Think Tank FOYRE
Expert en Évaluation des Politiques Publiques, Évidence, Management et Stratégie de Développement
